Théodore : « Ma musique sera salvatrice »

  • Propos recueillis par Malo Herve
  • Photographié par Studio Monique
  • Date

De battre, son cœur s’est arrêté. Après deux ans d’absence, Théodore est revenu à la vie en juin dernier avec DBMCSA, un premier disque long qui fait suite à une succession d’EP. Il se confie à Mosaïque et livre sa première interview en carrière.

Tu es revenu en juin dernier avec un premier long format : DBMCSA. Quel est le sens de ce titre ?

DBMCSA signifie : « De battre mon cœur s’est arrêté ». C’est le titre d’un film de Jacques Audiard. Il raconte l’histoire d’un homme qui perd son père et se dirige vers une carrière d’artiste accompli. Et puis, le titre fait écho à un sentiment que j’avais dans ma vie. J’ai une version de moi qui est morte, et là, je renais. Je me sens libéré après avoir traversé plusieurs épreuves qui m’ont empêché d’être pleinement investi dans la musique. Durant cette dernière année, je m’y suis replongé à fond, en m’entourant de personnes qui m’ont aidé à tout concrétiser. 

Dès 2021, tu es arrivé avec une imagerie énigmatique et des pochettes tirées tout droit du cinéma. Qu’est-ce qui t’inspire visuellement ?

Au-delà de mon quotidien, j’écris toujours avec des images qui me passent par la tête. Parfois, en studio, je regarde des images fixes ou des vidéos pour capturer leur essence et la retransmettre dans ma musique. Je fouille beaucoup aussi sur des blogs, sur Instagram, sur Pinterest… Quand une photo me parle, je la garde dans un dossier avec le nom du photographe, la colorimétrie, etc. Au moment d’imaginer les covers de mes précédents EP, TCHA TCHO ou ASWAD, j’ai trouvé plus pertinent d’obtenir directement les droits des photos existantes plutôt que d’en créer de nouvelles avec un photographe. La plupart du temps, les auteurs ont accepté. Sauf pour Romance & Rodéo : le cavalier sur le cheval est une photo originale qu’on a réalisée à la mer, avec des références directes. Mais ce n’est pas moi sur le cheval ! [rires]

Le rappeur Theodore les bras croisés

© Studio Monique / Mosaïque Magazine

Dans ces visuels, il y a une attention particulière donnée au mouvement. Est-ce une manière d’illustrer ton instabilité artistique ?

Le mouvement, c’est la vie et je veux que quelqu'un qui me découvre par ces covers le comprenne instantanément. Ce sont des photos qui bougent, même si elles paraissent figées et il y a un aspect romantique derrière ça. Pour chacune d’entre elles, j’étais dans une période à la fois romantique et agitée. Ces pochettes reflètent aussi la musique du projet, que chacun est libre d’interpréter à sa manière.

Pour DBMCSA, comment peut-on interpréter le masque qui figure sur la cover ?

C’est une recherche de design qui tend à marquer les esprits tout en restant sobre. Ce masque peut passer partout. En termes de symbolique, je veux que ma musique soit impersonnelle. Je ne veux pas qu’elle soit associée à la personne que je suis vraiment, mais plutôt à ce que je tends à vouloir inspirer.

Dès l’introduction, produite par Demna, il y a un sample de Schoolboy Q, « My Hatin Joint ». C’était ton idée ?

Ce sample n’a pas été réfléchi en amont. Demna est venu avec la prod et j’ai kiffé direct. J’aime bien avoir des références dans les instrus. À l’avenir, j’aimerais utiliser davantage de samples dans mes morceaux. Je veux que toutes les influences que je porte en moi soient représentées dans ma musique, au-delà du texte.

Le rappeur Theodore masqué face à l'objectif

©  Studio Monique / Mosaïque Magazine

As-tu l’impression qu’il y a un renouveau de l’usage du sample dans le rap ? 

Le sample, c’est la base du rap. Avec TikTok, il y en a de plus en plus et les producteurs aiment réinventer des morceaux qui existent déjà. Mais globalement, ça manque encore. Le sample donne une âme à la musique, un grain, du caractère à une prod. Et il rend aussi la musique plus accessible, plus facile à comprendre pour le public et les auditeurs. Donc il ne faut pas perdre cet usage. Parfois, les droits empêchent son utilisation aussi, ce qui pose des problèmes parce que sinon, on ferait tous des samples à gogo [rires].

À l’écoute du projet, on perçoit une sorte de brume sombre qui porte les morceaux.

Il y avait beaucoup de styles différents au niveau des prods donc je devais aligner le tout à travers ma voix et mon identité. Cette brume dont tu parles, c’est moi-même. Elle donne une cohérence. Mais au niveau des sonorités, on va dans tous les sens. Je pense qu’il n’y a pas de limite à avoir.

Tu as collaboré avec Chef Bandit - producteur pour Ronisia, Aya Nakamura, ou encore Eva - sur le son « BIGLATTO ». Comment avez-vous travaillé ce titre ? 

On avait déjà bossé ensemble sur quelques titres, comme « Palala ». J’ai aussi fait d’autres sons avec lui qui ne sont pas encore sortis. Souvent, il m’envoie des prods qui m’inspirent, qui détonnent un peu de ce que je fais d’habitude, parce que ces sonorités tournent beaucoup autour du kompa et de styles venus des Antilles. Ces prods dégagent une émotion, une mélancolie spéciale qui dénote avec l’aspect ensoleillé qu’on étiquette souvent à ces rythmiques.

Le rappeur Theodore les bras croisés

© Studio Monique / Mosaïque Magazine

Dans la musique, c’est la disruption qui t’intéresse ? 

Dans l’art en général, le contraste me captive beaucoup. Quand tu regardes un tableau, certaines parties sont mises en valeur grâce au clair-obscur. Si tu sais jouer sur le paradoxe entre deux idées, tu mets l’une des deux en lumière. Dans la musique, c’est pareil. Quand tu fais dénoter une image avec la musique que tu proposes, cela peut créer quelque chose d’unique. Je me souviens de la première fois où j’ai écouté PNL. Il y a un contraste magique dans leur musique entre les paroles et le texte qui donne naissance à une identité unique. De cette manière, tu peux parler à tout le monde, comme eux. La musique est inspirante parce qu’elle transmet une émotion. Le son « BIGLATTO », je l’ai fait pour danser mais aussi pour penser à ton ex. Je vais continuer à aller dans cette direction.

Tu collabores une nouvelle fois avec Green Montana sur ce projet. Quelle est votre relation ?

En dehors de la musique, on a des connaissances communes. Naturellement, on a fini par se rencontrer. Aujourd’hui, on est en train de créer notre collectif : le Nouveau Monde Riche. C’est un projet où on essaie de centraliser tous nos états d’esprit, chacun apporte sa vision au label. La mentalité, c’est d’aller chercher ce qu’on mérite, ce qu’on doit avoir. On travaille là-dessus avec d’autres partenaires, comme Sean Macson, qui est DJ, ainsi que d’autres personnes autour de nous, chacun avec un rôle précis. On fait aussi du réseautage, on sollicite des avis un peu partout. Des professionnels déjà bien installés dans l’industrie nous conseillent, on reste en contact étroit avec eux. Tout se prépare tranquillement, mais sûrement.

Le rappeur Theodore les bras croisés, masqué et capuché, face caméra

© Studio Monique / Mosaïque Magazine

C’est quoi pour toi être un hustler ?

Ne rien lâcher. Ne pas attendre que ça vienne de quelqu’un d’autre ou que ça nous tombe du ciel. Il faut arracher, prendre de force. Rien ne nous est donné, rien n’arrive sans effort, alors il faut y croire, y aller et saisir sa chance. Il faut avoir un plan, ne pas avancer dans le vide, savoir où on va et travailler avec un objectif. Quand je regarde mes parents ou les gens qui m’entourent, ils ont tous cette mentalité. Je ne peux pas me permettre de ne pas l’avoir, que ce soit dans la musique ou dans ma vie quotidienne. Sinon, on meurt dans le film. La paresse, c’est la mort. Le contentement, le confort aussi.

La zone de confort, ça t’effraie ?

Ça ne m'effraie pas, mais je deviens vite confortable, donc je me fais violence pour en sortir. J’essaie de faire plein de choses, le plus possible, quitte à ne plus avoir de temps. Quand je vois ce que ça m’apporte, ça en vaut largement la peine.  Le moment du repos et des félicitations viendra, mais il y a un temps pour tout.

Tu cites une nouvelle fois Balotelli sur ce projet après avoir sorti un morceau qui s'appelait « 2012 BALOTELLI » avec Steban. C’est une figure inspirante pour toi ?

J’aime sa nonchalance, son insolence. J’avais nommé mon titre « 2012 Balotelli » parce que c’était l’année de son prime en tant que joueur. En termes de potentiel, Balotelli est un footballeur hors norme. Mais le gars n’a pas assez bossé et à un moment donné, je me sentais un peu comme lui. C’est dans ce sens-là que je disais : « Je me sens comme Balotelli en 2012 », mais sans vouloir prendre le même chemin que lui après. On a tendance à dire qu’il aurait mérité mieux, mais il a eu ce pour quoi il a travaillé et il a eu une belle carrière. Comme référence, j’aurais pu aussi citer Anelka. J’aime son attitude et sa posture.

Il y a d’autres figures, en dehors du foot, qui t’inspirent ?

Il y a énormément de gens qui ont des vies incroyables. Quand tu creuses, tu te rends compte que toutes les personnes qui réussissent ont des vécus de fou. La mentalité forge la carrière, pas seulement les aptitudes.  

Que retiens-tu de la sortie de DBMCSA ?

Comme un poids que je devais enlever de mes épaules. Surtout après avoir fait une longue pause pour diverses raisons. Aujourd’hui, je me sens libéré. J’ai l’impression que la musique que je vais faire sera salvatrice : pour ma carrière, pour ma vie, pour mon entourage. Je vois ce projet comme une libération. 

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