Ton prochain projet, Un jour de moins, sera disponible dans quelques jours. Comment te sens-tu ?
Je suis pressé de le sortir, d’en parler, de le défendre sur scène. On était un peu dans le rush sur la fin du projet, c’est toujours notre défaut. Mais je suis content des titres, de notre travail et des feats. On a un concert ce soir où l’on va jouer des inédits.
À la sortie de ton dernier EP Un jour de plus, tu disais vouloir faire une trilogie avec cinq titres par projet. Finalement, il y a douze pistes dans ce disque. Que s’est-il passé ?
À l’origine, j’avais prévu d’enregistrer quinze titres, à séparer en trois EP. C’est de cette manière qu’est né Un jour de plus. Après sa sortie, j’ai réalisé que je ne le considérais même pas comme un projet à part entière, mais davantage comme une transition. En parallèle, on commençait à réunir plus de cinq titres. J’imaginais alors quatorze tracks pour ce nouveau projet, dont trois interludes avec la voix de Neefa. Finalement, on ne la retrouve que pour « Noneefication ». On s’est accordé sur le fait qu’elle s’imbriquait mieux comme ça. Prévoir une trilogie, cela implique nécessairement des changements, même si je connais généralement la direction qu’on va prendre. J’ai déjà prévu les visuels qui représentent les routines incontournables de chaque journée. La cover de l’EP Un jour de plus, en violet, symbolise le réveil. Ce nouvel EP, Un jour de moins, en vert, incarne le moment de la toilette. Enfin, le prochain, Un jour sans fin, dans des tons orangés, sera dédié au repas. Les covers illustrent cette idée de routine épuisante, en espérant qu’Un jour sans fin permettra d’en sortir. Comme dans le film Un jour sans fin dans lequel le héros s’en libère après s’être remis en question pour devenir la meilleure version de lui-même.

© @stones_raw / Mosaïque Magazine
Pourquoi la question du temps est-elle aussi centrale dans ta trilogie ?
Je pense que si tu es connu, tu peux rapper toute ta vie tant que tu aimes ta musique. Mais pour être connu, je crois qu’il y a une deadline. Il faut avoir la force de continuer sans vivre de ta passion. Dans « Maudit », je dis que je suis dans un marathon car je rappe depuis longtemps et je garde un rythme de sortie constant. Je suis aussi dans une course contre la montre parce qu’à un certain âge, tu te fais rattraper par la vie, les responsabilités et les envies. Lorsque tu vis de ta musique, tu fais de ta carrière une priorité.
Tu évoques toujours ton envie irrépressible de vivre de ton art mais moins sous le prisme de tes petits boulots alimentaires. Te consacres-tu pleinement à la musique ?
Grâce à ces petits boulots, je suis actuellement au chômage et j’essaye d’avoir l’intermittence. Pendant sept ans, je me suis consacré à des taffs que je n’aimais pas, alors je me suis presque promis de ne pas y retourner. À présent, je peux me dédier entièrement à la musique et construire ma carrière. Par contre, les années à venir vont être décisives.
Dans le morceau « Maudit », tu dis aussi : « Plus les années passent, moins j’ai le temps de partir ailleurs ». Te faudra-t-il quitter Nantes pour réussir ton pari ?
J’ai vécu toute ma vie ici et je rappe depuis la seconde, même si les premières années ne sont pas sérieuses. Ce que je fais aujourd’hui, je l'ai toujours fait dans cette ville. Je prends donc du plaisir à bouger, à me rendre à Paris et à rencontrer de nouvelles personnes. Mon équipe de travail est là-bas, Merkus et Tunisiano. J’hésite parfois à déménager mais au bout de deux semaines à Paris, j’en ai marre. J’ai en tête de vivre ailleurs un moment. Pourtant, à Nantes, il y a encore tout à faire. Avoir une audience sur Internet est différent d’avoir des auditeurs qui se rendent à l’un de tes concerts. Avec le Covid, on n’a pas eu le temps de jauger l’impact qu’on a pu avoir avec Odyssée et SE7EN. Je veux être un rappeur français qui vient de Nantes, mais les gens ne viendront pas nous chercher. Il vaut mieux aller à leur rencontre à Paris, par exemple.

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Selon toi, la ville de Nantes a‑t-elle la capacité de faire éclore une véritable scène rap ?
Elle a autant de chances que toutes les autres villes. Il y a des jeunes, des équipes motivées. Maintenant, il y a également les studios de Krumpp et ATMA. Tout est donc favorable à ce qu’une scène émerge. Par contre, certains artistes pensent qu’ils peuvent se faire connaître à grande échelle en se focalisant seulement sur notre région. J’ai plutôt l’impression que c’est comme aux États-Unis. Le Youtubeur Tales From The Click parle d'acteurs qui finissent tous par aller à Los Angeles ou à New York. Il faut parfois aller faire des rencontres à Paris pour que ce soit concret, c’est incontournable. C’est à Paris qu’on a obtenu des signatures, des grosses opérations de promotion, il n’y a pas de secret. La preuve : même les rappeurs marseillais sont signés dans des labels parisiens. J’espère également qu’on ouvrira les portes pour d’autres Nantais, pour mettre Nantes sur la carte et pour en faire une ville active.
Lors du Grünt Talks à Nantes, en octobre dernier, tu affirmais proposer une musique hybride, à mi-chemin entre R&B et rap. D’où vient cette envie de tenter le chant sur des morceaux comme « Le Temps d’un Verre » ou « Ton cœur ne suffit plus » ?
« R&B » c’est un grand mot mais j’ai toujours écouté des artistes qui s’en rapprochaient. La première fois que j’ai saigné un artiste, c’était Fifty Cent. La mélodie et le chant avaient déjà une place importante. Pareil pour Sexion d’Assaut, Booba, Drake ou Kendrick. C’est se fermer une porte que de ne pas créer de mélodies. Même si je ne m’estime pas être le meilleur chanteur du monde, je connais ma gamme et les notes que je peux tenir en concert. J’essaie de faire les refrains les plus entêtants possible. Il faut presque que je me force pour choisir de rapper un refrain plutôt que de le chanter.

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Tu cites toujours des influences différentes, de Kendrick Lamar à OVO en passant par Solange Knowles. Comment les retranscris-tu ?
Justement, elles m’inspirent mais je ne les retranscris pas toutes. « Vanités » était un écart entre Kendrick, Sampha, Solange et Frank Ocean, avec aussi du rap aux sonorités rock. J’aime beaucoup ce mélange mais ça partait dans tous les sens et ce n’est pas ce que j’ai envie de faire sur la durée. Ça ne me permet pas d’avoir une identité musicale définie. Les artistes que j’écoute ont leur propre patte. Je n’ai pas besoin de toutes leurs énergies pour avoir la mienne. Elle se précise avec le travail et les années.
Pourquoi avoir invité IPNDEGO qui était déjà sur Un jour de plus ?
Il s’est récemment mis à chanter en français et j’ai accroché lorsqu’il a commencé à travailler avec mon frère. Il ne prétend pas faire du R&B à l’ancienne mais il s’inscrit dans la vibe actuelle. C’est une position qui est facilement intégrable dans ma musique parce que je chante, mais avec une approche bien différente. Il vient de signer sur le même label que moi [Mezoued records, le label de Tunisiano]. En studio, on a une alchimie, alors ça me paraît être une évidence. Et surtout, je l’apprécie humainement [rires d'IPNDEGO, présent autour de la table] ! Il fait partie de mon entourage proche. Je suis très fier de nos titres et je trouve « Pour cette vie » encore meilleur qu’« Un peu de temps ». Je serai aussi sur son projet qui sort en juin.

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Il y a aussi un featuring avec l’émouvant Tuerie. Comment est né le titre ?
J’ai découvert Bleu Gospel grâce aux recommandations de Mehdi Maïzi et Neefa. Intrigué, je suis allé écouter. Quelle claque ! Son projet est honnête, bien écrit, musical, bien mixé. Les clips sont cools. Je ne lui trouvais aucun défaut. Puisqu’il avait l’air accessible, je l’ai contacté. On s’est rencontrés en studio à Paris en février. J’avais déjà la prod mais on peinait à créer le morceau. Alors, on a offert à Tuerie la possibilité d’avoir plusieurs voix en changeant la prod. Il m’a dit : « Pour m’avoir entièrement sur un feat, il faut que tu me permettes de montrer mes différentes facettes. » Je ne suis pas habitué à bosser avec des gens que je ne connais pas et pourtant je trouve que « Mes névroses » est la preuve d’une belle alchimie. Sa performance se rapproche de ce que j’ai apprécié sur Bleu Gospel.
Le morceau « Petit frère » est un hommage à ton frère aîné, Be Dar, qui a produit presque intégralement chacun de tes projets depuis Philadelphia. À quel point est-il présent dans ton processus créatif ?
Il a travaillé sur presque l’intégralité des titres et puis KCIV, le DJ de Lujipeka, Seezy et Selman Faris de Don Dada, se sont rajoutés à la boucle. Vincent [nom de naissance de Be Dar] est repassé pour faire quelques retouches. En résumé, il s’occupe surtout de la direction artistique pour que le projet reste cohérent. En ce qui concerne Seezy, il a entièrement retapé des morceaux qui se prêtaient moins à l’univers de mon frère.
Tu collabores souvent avec le même entourage : Slasher Vision pour les clips, Juxe en tant qu’ingénieur du son, ton frère pour les productions et Tade pour les visuels. Pourquoi conserver cet entourage 100% nantais ?
Ce n’est pas mon premier entourage. J’ai surtout commencé avec mon frère, puis on a rencontré de nombreux ingé son avant Juxe. Concernant le graphisme, j’ai toujours eu Tade. Une fois que tu trouves un ingé son et un graphiste qui te comprennent, qui arrivent à te faire avancer dans ta démarche, avec qui les échanges sont fluides, en général tu ne changes plus. Ce ne sont pas des postes faciles à trouver, en tout cas pour qu’il y ait un vrai feeling, une vraie cohésion et une vraie envie d’aller dans la même direction. Tant que ça marche, je ne vois pas pourquoi je changerais d’équipe.
La suite pour toi, c’est le troisième opus, Un jour sans fin ?
Oui et, pour être honnête, elle ne verra pas le jour avant l’année prochaine. C’est une trilogie donc je ne peux pas me permettre d’être absent trop longtemps, mais j’aimerais qu’on mette en avant Un jour de moins sur le reste de l’année avec peut-être quelques sorties en attendant. On envisage aussi une date en septembre à Paris !