Mandyspie : « Je fais de la musique à perte, mais ça vaut le coup »

  • Propos recueillis par Morgane Mabit
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Après un EP solo en juin 2025, des collaborations dans tous les sens et une scène au Grünt Festival, Mandyspie n'a pas pris le temps de souffler. Il est donc l'heure pour la Franco-Canadienne de faire une pause afin de faire le point sur son dernier disque, la progression de sa carrière et sa vision désenchantée du monde. 

 

En juin, tu as sorti l’EP MINUIT MOINS UNE. Le titre donne le ton, est-ce une référence à Cendrillon et sa pantoufle de verre ?

Dans le mille ! Le projet évoque un sentiment d'urgence et de désillusion. Je l'ai relié à l'univers du conte de fées. La cover est à la fois mystique et pleine de paillettes. Elle a été prise par mon amie, Laura Hervé, lors du tournage du clip de « FAIRYTALE ».

Ton univers est habituellement plutôt marqué par l’esthétique de Monster High…

J'ai grandi avec les deux univers, mais Monster High m'a matrixée. Dans mon dernier projet, je me décris comme « la plus émo de l'académie ». Contrairement à la majorité des imaginaires pour enfants à l'époque, les Monster High étaient des personnalités alternatives, créatives, introverties et surtout fières de leurs différences. Ma mère est aussi quelqu'un qui a un style gothique. Elle adore Charmed [rires], et elle m’a appelée Morgan en référence à la légende de la fée Morgane. C’est aussi elle qui m'a initiée à Twilight ! J’ai été marquée par la figure de Coraline ou les animations de Tim Burton dans La Mariée cadavérique [nom québécois du film Les Noces funèbres] et L'Étrange Noël de monsieur Jack. J'ai l'impression que les rappeuses de ma génération comme BabySolo33, Asinine, Surprise et peut-être aussi 32 partagent les mêmes références visuelles. C'est difficile parfois de ne pas se « copier » malgré nous [rires]

Mandyspie avec des lunettes dans la rue, la nuit

© Laura.hrv

Dans le titre « LOLITA », tu admets ne pas réussir à vivre de ta musique, est-ce un frein pour continuer à créer ?

Si je n'avais pas à réinvestir ce que je gagne dans la musique, je pourrais actuellement en vivre. Malheureusement, sortir un seul single coûte très cher. Je fais de la musique à perte, mais c'est un choix. À mes yeux, ça vaut le coup. Cela pourra me freiner si je ne réussis pas à évoluer suffisamment à l'avenir. Je n'ai jamais imaginé arrêter complètement la musique pour des questions d'argent. Je travaille en intérim dans la restauration et l'accueil pour justement continuer à créer et avoir un emploi du temps plus flexible. À la sortie de MINUIT MOINS UNE, je croulais sous le travail au point de presque saturer car je n'arrivais pas à jongler entre les deux, mais je me suis accrochée. Comme tout le monde, je fais un taf de merde [rires]

Dans le même morceau, tu fais d'ailleurs référence à Theodora... 

Son slogan « Boss Lady » est trop efficace ! Il a marqué les gens cette année. Tout le monde se l'est approprié. C'est comme le « Jolie Garce » de Shay à une échelle encore plus large. Je voulais appuyer sur le fait qu’il est devenu un repère générationnel.

Est-ce frustrant que l’on puisse te catégoriser comme une artiste underground ?

Pas particulièrement, mais je trouve que ma musique ne l'est plus vraiment ! J'expérimente sans cesse. Je recherche surtout une énergie avant de poser plutôt qu'un style. J'ai des références underground mais que je mixe à ma sauce. Dernièrement, j'ai été matrixée par la scène underground du Royaume-Uni avec des artistes comme Fakemink et EsDeeKid. Ils font une sorte de jerk à base de samples nostalgiques. Ils créent un mix entre trap et mélancolie. Je suis également influencée par Nettspend. Mon son « INSTABLE » s'inscrit dans la même veine que sa musique.

Mandyspie la nuit portant un bob un foulard et des lunettes près d'un lac

© Laura.hrv

Dans « LOLITA », tu dénonces aussi l'industrie musicale et ses mensonges. Tu t’appuies sur ton expérience ?

J'entends constamment des « on dit » qui parlent d'une recette pour le succès. Je n'y crois pas du tout, je n'ai pas envie de rentrer dans une case, et de créer une trend artificiellement. J'ai toujours été en indé, mais je sens une pression pour appliquer des codes, « être une bad bitch », « être proche d'un groupe de mecs pour être mise en avant en tant que meuf ». Je trouve aussi qu'on est dans une période de retour au mainstream et à la standardisation dans le rap. J'ai l'impression que ce phénomène est corrélé à la montée du fascisme, à la tendance « clean girl » shit. Il n'y a encore pas si longtemps, on mettait l'accent sur l'innovation : plus c'était bizarre, plus c'était mis en avant. Si aller vers de la musique plus sobre m'a déjà traversé l'esprit, je n'ai surtout pas envie de me travestir. 

Tu plaisantes aussi du « jour où ils diront que [tu es] une plant industry ». Ce qu'on pourrait dire de toi a une influence sur ta musique ?

La perception qu’ont les autres de moi me touche forcément. Je n'ai pas Twitter par exemple, ma manageuse se charge d'y poster mon actualité. Parfois, je regarde les commentaires sur les autres plateformes, c'est humain. J'ai déjà eu une espèce de sauce sur Twitter par rapport à un morceau, les gens critiquaient un de mes premiers sons DMV flow en me comparant à Kaarism [un rappeur français parodique]. J'ai évité d'y prêter attention car je savais que ça allait m'atteindre. 

Tu profites justement de ce nouveau projet pour parler de ton rapport aux réseaux sociaux, à quel point te sens-tu dépendante ?

Au lieu de regarder mon téléphone en boucle à chercher la validation sociale, j'aimerais surtout prendre le temps d'appeler ma mère. Je suis davantage concentrée sur ma musique, mon identité numérique avec Mandyspie, ce qui est un peu dommage. On est tous pareils, on a grandi avec les réseaux sociaux, mais dans mon cas ils ont pris une autre ampleur avec ma carrière. Et aujourd’hui, tout dépend de la façon dont tu te présentes sur les réseaux. Il faut savoir prendre soin de soi et pas seulement de son avatar.

Mandyspie dans une baignoire avec un éventail

© Laura.hrv

Entre 2024 et 2025, ton planning était bien chargé. Tu as enchaîné les collaborations, dont « PRETTY BETTY » avec Jaymee qui a été très bien accueillie, un EP commun avec Douze Déluge… 

C'est vrai que cette année, j'ai beaucoup collaboré. Je voulais ouvrir ma musique et j’ai appris à travailler efficacement en groupe. Avec Jaymee, on se suivait depuis longtemps. Je savais qu'il venait de Lille et qu'il était entouré d'un groupe de potes. On s'envoyait beaucoup de messages de soutien, notamment à l'occasion de nos premières scènes. Un jour, il est passé à Paris et on en a profité pour enregistrer ce son dont on est très fiers. Pour ce qui est de Douze Déluge, on est amies depuis au moins trois ans et on a essayé à plusieurs reprises de faire de la musique ensemble sans succès jusqu'à ce qu'on fasse un son avec le beatmaker Idée Noire. On s'est tout de suite imaginées faire un projet commun. J'ai toujours voulu faire des collaborations rap avec des meufs et je suis tellement heureuse que ce soit réalisé. C'est aussi la raison pour laquelle j'ai adoré découvrir Surprise.

Est-ce à elles que tu fais référence dans « ATYPICAL » lorsque tu dis : « Je préfère traîner avec mes bitchs, on a capté chacune son univers » ?

Je parle d'elles et d'autres amies. Elles sont toutes différentes mais on a des valeurs similaires. Je me suis toujours mieux entendue avec les meufs en général qu'avec les hommes. C'est important pour moi de montrer qu'on peut avoir des amitiés authentiques dans la musique. Les femmes peuvent s'allier, faire des projets communs et j'aimerais qu'on le mette davantage en avant. Évidemment, je ne suis pas la première à avoir fait ce constat. C'est un environnement majoritairement composé d'hommes et je me sens plus en confiance si je partage ma séance de studio avec une autre femme. Plus de 50 % de ma playlist est composée de femmes. En ce moment, j'écoute Molly Santana, Oklou, 32, la rappeuse d'Atlanta Bktherula, mes gows 12D et Surprise.  

La rappeuse Mandyspie entourée de cactus

© Laura.hrv

Dans ton précédent projet, Monster Therapy, tu abordais le passage à l'âge adulte, as-tu l’impression d’en être une ?

À un certain âge, j'ai réalisé que je n'étais plus une enfant et que le temps était passé beaucoup trop vite. Du jour au lendemain, on prend conscience qu'on a des responsabilités et qu'on nous force à être productif alors qu'on n'a pas eu l'occasion de faire une introspection pour se connaître suffisamment. Je n'étais pas prête pour ça, j'ai eu du mal à l'encaisser. J'avais besoin d'aborder ces questionnements qui m'ont fait énormément réfléchir ces derniers temps. Aujourd'hui, je me sens adulte mais peut-être pas une adulte responsable. Et ce n'est pas parce que je suis une adulte qu'on doit constamment me parler d'avoir des enfants, de faire un crédit pour ma maison ! Je veux prendre le temps de me découvrir. C'est quand même une question qui me torture tous les jours. Mon père comprend que je fasse le choix d'une trajectoire alternative, ma mère un peu moins, elle s'inquiète. Ça me saoule de devoir courir après le temps pour correspondre à des attentes qui ne sont pas les miennes. 

C'est quoi la suite pour toi ?

M'amuser en sortant des singles et peut-être envoyer un album pour 2026. 

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