Jeune Morty : « Je vis dans mon monde et pas un autre »

  • Propos recueillis par Cédric Rossi et Malo Herve
  • Date

Depuis plusieurs mois, Jeune Morty faisait grimper l’attente autour de sa première mixtape Eponyme à coups de singles et de visuels marquants. Le rappeur de Choisy-le-Roi a libéré la tracklist de 15 titres le 20 juin dernier, dévoilant pour l’occasion une pochette audacieuse qui n’a pas manqué de faire réagir. Quelques semaines avant la sortie de ce projet, Mosaïque a rencontré le rappeur.

Comment as-tu commencé la musique ?

Entre 2019 et 2021... Je ne me souviens plus exactement. Le grand frère de mon pote m'a amené au studio après m’avoir vu faire un freestyle. II a vu l’amour que je ressentais pour la musique et il m’a conseillé de le véhiculer.

As-tu été inspiré par ton environnement familial ?

Mes parents m'ont transmis une grosse curation musicale. On pouvait se retrouver chez moi avec mes tantes, mes cousins, et ça commençait à danser. Il y avait tout le temps de la musique, même en voiture avec la daronne. On écoutait Alpha Blondy, Ismaël Isaac, Meiway, Arafat, Youles International... Grâce à tout ça, je suis plus apte à aller loin, à repousser des frontières, à ne pas me brider et ça se ressent dans ma vie de tous les jours. 

La musique est-elle un moyen de rester connecté à tes origines ?

Je suis né à Daoukro, dans le nord de la Côte d'Ivoire. Je suis venu en France à l’âge de 3 ans. J’en ai de gros souvenirs. Je pense que je suis voué à prolonger un message qui a déjà été évoqué au sein de mon pays. Je suis le prochain porte-parole de tout ça. On a beaucoup de richesses et on veut les montrer. La musique me permet de rester connecté à ma culture. Quand tu arrives en Occident, le monde bouge différemment. Tu peux vite perdre le fil.

Pourquoi avoir capitalisé autour du mot « Eponyme » ?

Eponyme me représente totalement. C'est un recueil musical, des énergies regroupées au sein d'un vase avec des sonorités olympiques et féériques. J'ai grandi avec la télé, notamment avec Disney Channel. Les génériques m’ont fait rêver quand j’étais petit et sont restés ancrés dans mon cerveau, comme la musique africaine a pu l'être. Eponyme, ce sera un alliage de tout ça. Ce sont des références que je trouvais cool dans mon enfance et que je veux remettre à la page, parce que c'est dans mon monde que je vis et pas un autre. Eponyme, je le vois comme un diamant que j'étais censé dévoiler.

Photographie de Jeune Morty dans un hôtel parisien

Antoni Cadillat / Mosaïque Magazine

Dans tes intentions de voix, tes choix instrumentaux ou tes textes il y a ce sentiment doux-amer constant qui plane. Comment tu expliques ce rapport au passé ? 

Il y a beaucoup de mélancolie dans ma musique. Les gens aiment se souvenir de leur jeunesse, quand ils n'avaient pas de problème. 

C’est de ce sentiment de liberté que te vient cette amplitude vocale au moment de poser ?

Ma manière de chanter vient de ma mère ou de Dieu, je ne sais pas ! Je suis juste en extase, ce sont des cris qui sortent de moi et que j'illustre pas des mots. Ce que je vois, ce que j'écoute, ce que je sens… tout m'inspire. Ça ne peut pas avoir de limite. Il faut que ma musique ait une saveur, et si tu n’es pas dans mon corps, tu ne peux pas le ressentir. Je veux que ma musique donne envie de se lever et déclenche une énergie qui te motive. C'est ça la musique : pouvoir faire ressentir à la personne qui t'écoute ce que toi tu es en train de ressentir.

Tu ne crains pas de ne pas te faire comprendre de tout le monde ?

C’est raw. Je n’aime pas ce qui est trop lisse et parfait, j'aime bien que ça sonne comme ça doit sonner. Quand une goutte d'eau tombe, elle ne tombe pas toujours juste. Je veux que ma musique tombe comme elle doit tomber.

Photographie de Jeune Morty dans un hôtel parisien

Antoni Cadillat / Mosaïque Magazine

D'où vient le nom de ton label : JetSetFarot ?

En Côte d’Ivoire, il y a un groupe appelé La Jet Set, avec des figures comme Douk Saga, Molare, Lino Versace, etc. Pendant la guerre civile de 2002, leur musique motivait les gens à se battre et à travailler malgré les épreuves. Je ne peux que respecter ça et le propager. 

On ne te voit pas encore trop collaborer avec d’autres artistes, pourquoi ?

Je suis vraiment dans une autre réalité qui fait que mon but est de me développer personnellement. C'est contradictoire parce que la musique est un partage, mais je le vois davantage comme un partage entre plusieurs de mes émotions. Plus les années passent, plus je me renferme. Par la suite, ce sera aussi intéressant de partager ce truc avec d'autres êtres humains. Ça créé parfois de très belles choses.

Trouves-tu que ta musique est connotée « américaine » ? 

J’ai été marqué par New York, Atlanta, la Nouvelle-Orléans, L.A., avec Mobb Deep, Three 6 Mafia, Tupac, Biggie, Outkast, Gucci Mane, Waka Flocka, Young Thug... DJ Screw aussi, paix à son âme. Mais ce qui m’a vraiment accroché aux États-Unis dans mon adolescence, c’est la scène de Chicago. Les gens appellent ça de la drill, moi, j’appelle ça du rock.

Pourquoi ?

La musique qui a été produite à ce moment-là, c'est trop peu de dire que c'est de la drill. Quand il y a de la peine et de la rage que tu cries à travers un micro, pour moi, c'est du rock 'n' roll. DJ Kenn est un Japonais qui est venu à Chicago pour produire avec Young Chop, Chief Keef etc. Crois-moi que lui n'essayait pas de faire de la drill avec eux, il essayait de les faire tendre vers le rock parce qu'il avait le recul pour savoir que ces sonorités marchaient. Pour moi, le rock, c’est la liberté. Ceux qui jalousent, ce sont ceux qui envient cette liberté.

Photographie de Jeune Morty dans un hôtel parisien

Antoni Cadillat / Mosaïque Magazine

Tu te verrais collaborer avec des Américain·e·s ?

Je suis voué à m'émanciper à l'échelle internationale. La France est le premier bagage qui va me permettre de m’émanciper.

Lorsqu’on écoute des gens qui t’ont influencé (Lil Wayne et Young Thug entre autres), le dénominateur commun est souvent ce rapport à l’instantané, tu en penses quoi ?

C’est une question d’énergie. Devant le micro, je fais ressentir ce que je veux. Je ne me pose pas de questions, c'est organique. C'est aussi lié au rapport que je peux avoir avec le théâtre où on interprète des émotions. Dans le live, c'est pareil, tu ne peux pas tromper les gens. C’est l’instinct, comme un animal qui chasse sans se poser de questions. 

Comment te vois-tu évoluer dans les prochaines années ?

Au studio, en train de bosser sur la prochaine balle que le monde va se prendre. C'est ma seule vocation. On a tous des trucs qui font qu’on reste en vie. Moi, c'est la musique qui fait que j'arrive encore à supporter cette réalité.

Photographie de Jeune Morty dans un hôtel parisien sur un appareil à bagage

Antoni Cadillat / Mosaïque Magazine

Comment expliques-tu ta résilience au cours de ta carrière ?

J’ai été très têtu. Je me vois comme un rookie éternel. J'ai toujours cherché à être le meilleur, mais pas être le meilleur. Quand t'es le meilleur, tu stagnes parce que tu occupes une place.

Le fait d’être un éternel rookie, est-ce de là que vient le « Jeune » de Jeune Morty ?

On m'a blazé « Morty » et j'ai ajouté « jeune » pour garder la connotation française. Quand j’irai à l'international, les Américains se forceront à parler en français lorsqu’ils m’adresseront la parole. « Morty », c'est une référence à la série Rick et Morty parce que cet enfoiré vit plein de trucs. Dans sa vie, c'est l'euphorie, c'est l'extase. Si tu regardes bien, au fil des épisodes, il n'a jamais de répit. Il est dans l'instantané, il vit, comme moi. Je pense rarement à demain.

Réservé aux abonnés