Huit mois après sa sortie, quel bilan fais-tu de LE JOUR D'APRÈS ?
Je suis fier de ce projet. Ceux que j’avais sortis jusqu’ici avaient toujours fini par un peu me soûler. J’étais toujours dans l’optique de faire du neuf, il y avait beaucoup de forme et d’autotune. Celui-ci pue l’authenticité, c’est la première fois que, même avec le temps, j’en suis toujours content. Je n’ai jamais été aussi admiratif de ce que j’ai fait.
En 2020, tu disais que NO FUTURE n’était pas un album, est-ce aussi le cas pour ce nouveau projet ?
J’ai du mal avec toutes ces appellations. Album, EP… Je ne me pose pas la question. Je sors un projet, les gens l'appellent comme ils veulent.
Cela faisait presque quatre ans que le public t’attendait, que s’est-il passé entre 2020 et 2024 ?
J’ai eu une grosse remise en question, pour des raisons personnelles comme artistiques. Je suis donc reparti à Montpellier [Wit. y a grandi]. Je continuais à faire du son dans mon coin mais rien de très sérieux. J’ai eu une mauvaise expérience et je ne peux plus me permettre de connaître la galère. Le rapport au rap, à l’image, m’a mis une gifle. Ce que j’aime, c’est faire de la musique, le reste ne m’intéresse pas.

© Noe777 / Mosaïque Magazine
Quel a été le déclic ?
C’est la conclusion de mon expérience après NÉO, SIRIUS et NO FUTURE [Wit. était signé sur le label Jeune à Jamais avec un contrat d’artiste]. Personne ne l’a capté, mais le nom du projet NO FUTURE avait trois sens : la fin de ma carrière, le fait que les gens disent que ma musique est futuriste alors que je fais de la musique de maintenant, et l’état actuel du monde qui va droit dans le néant. Que ce soit l’industrie musicale ou la société en général, je n’ai pas de bon rapport avec ça. Alors je suis retourné faire ce que je savais faire parce que je me sentais libre. Je faisais mon biff, personne ne me disait quoi faire. La réaction que j’ai eue était impulsive, mais sur le coup, je me cassais le cul à faire de la bonne musique. Quand j’ai vu que je n’étais pas à l’aise avec tout ça, j’ai voulu me casser. Je l’explique dans l’interlude « LE JOUR D'APRÈS », tout est vrai.
Tu donnes l’impression, tout le long du projet, d’être trop droit pour ce monde.
J’ai une mission. Je la vois très spirituellement. Je ne suis pas tout seul. C’est pour ça que j’essaye de rester un minimum droit. Les gens ne comprennent pas ça.
Tout te soûlait au point de vouloir te détacher de ton statut d’artiste ?
La musique est en moi. C’était surtout un ensemble de choses, que ce soit même d’un point de vue spirituel ou familial. Il fallait retourner à Montpellier. Je devais revenir peu de temps après, mais au final j’ai traîné et je ne suis revenu sur Paris qu’en avril 2023. Montpellier, c’est la noirceur, mais c’est aussi le soleil. Il y fait bon vivre. Si tu n’entreprends rien, tu peux très vite finir comme les vieux du PMU et te retrouver à 40 ans sans avoir vu la vie passer. Tu te laisses aller.

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Tu t’es laissé aller ?
Musicalement parlant, oui. Mais [cite son morceau « RODÉO »] : « J’ai dormi sur la musique parce que j’étais concentré sur autre chose, retourner fournir d’autres doses sans jamais espérer dormir au chaud. » Ce qui m’importait, c’était de faire rentrer ce putain d’argent.
Est-ce une quête ?
Je ne suis pas en quête d’argent, je suis en quête de liberté. J’ai besoin de savoir que je peux prendre un billet et me barrer quand j’en ai envie, mettre bien les miens. Ça me fout le seum que ce soit ce putain de papier qui décide. Mais je ne peux pas changer les lois, alors je fais en sorte d’être libre. Tu as la liberté intérieure, certes, tu peux être en paix en étant pauvre, mais moi je ne le serai pas tant que je ne peux pas sécuriser tous mes gens. Quand tu as grandi avec tchi, tu as ce complexe de ne pas vouloir revivre ça. Je ne suis vraiment pas matérialiste, mais il me faut un putain de pécule. Il faut que je rende fier, même financièrement, tous ceux qui ont cru en moi. J’ai un poids sur les épaules. Je sais que je parle beaucoup d’argent dans mes textes, des fois je m’en veux.
Pourtant, c’est un thème très commun dans le rap.
C’est pour ça. Je ne veux pas faire comme les autres.
Pourquoi tiens-tu tant à cultiver cette différence ?
Si je ne valide pas la direction de tout ce qu’il se passe autour de moi, dans l’industrie, la société ou autre, mon réflexe est d’aller à contresens. Bien sûr que je ne vais pas aller dans la même direction qu’eux, je suis en train de les contredire tous les jours.

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Ta musique a donc quelque chose de militant par essence ?
Exactement. Je ne veux pas faire du divertissement. Parfois, je reçois des messages qui me font tellement plaisir. Je n’aime pas dire ça, mais certains me disent que j’ai limite changé leur vie. Je n’arrive même pas à y croire, ça paraît trop beau pour être vrai. Tout ça veut bien dire que je ne suis pas fou, que je ne suis pas tout seul.
Tu es même parfois clairement revendicateur. Dans « GG » tu dis : « Ça chie sur la politique à Netanyahou ». Qu’est-ce que t'inspire l’actualité du conflit israélo-palestinien ?
Je me sens impuissant. Je suis capable de m’en vouloir alors que ça n’est pas ma faute. Je suis ce genre de mec, ça me rend fou. Lever une révolution, ça serait mon plus grand rêve. Avant je me renseignais beaucoup sur la politique, aujourd’hui je n’ai plus aucun espoir. Gauche ou droite, qu’ils aillent se faire enculer. Dès que la France veut nous faire avaler quelque chose, elle le fait. Les médias sont des chiens de berger qui détournent l’attention d’un troupeau de moutons. C’est de la propagande intelligente, ce sont des diables. Je sais que c’est dégueulasse de parler comme ça parce qu’en vrai, un vote peut tout changer. Mais je suis dans l’optique de me débrouiller et de faire de l’argent par moi-même. J’aimerais créer une rentabilité et faire des actions concrètes avec des associations dans des pays étrangers pour y créer des infrastructures. Pour moi, c’est la meilleure façon d’agir à ton échelle.
Et changer la vie de quelques personnes avec ta musique, ça te suffit ? Est-ce que tu rêves de plus grand ?
C’est un sentiment partagé, tout est dualité. Donnez-moi les 40 millions de streams, moi ça me va. Mais quand on me dit « mainstream », j’ai tendance à penser à de la musique facile. Évidemment que je rêve de festivals avec des gens à perte de vue, mais je veux le faire avec ma musique. Imagine seulement. Faire du son qui te rende fier, c’est la seule chose à laquelle penser et je ne vais pas me vendre pour que ça arrive. Je veux que ça se fasse dans mes règles, c’est mon combat. Je le dis, je suis en guerre.
LE JOUR D'APRÈS parle d’ailleurs beaucoup de ta volonté de changer le game.
Chez nous, on dit : « bessif ». Que tu le veuilles ou non, je vais le faire. Je ne dis pas que je vais décider de l’avenir du monde, mais je préfère le faire dans cette optique-là. Me dire qu’ils vont capter d’une manière ou d’une autre. Je ne suis pas en train de chercher leur amour, mais juste qu’ils me comprennent. Et ce n'est pas possible si on ne me rencontre pas dans la vraie vie. Les gens ne comprendront jamais toute la complexité de ma musique.

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Est-ce frustrant de savoir que tes auditeurs ne peuvent te comprendre qu’en surface ?
Je ne connais plus la frustration, c’est Dieu qui décide. Mon premier auditoire, c’est mes gars. Par contre, si quelqu’un vient me parler de ma musique sans rien avoir capté, là je vais être en mode : « Tu ne sais même pas de quoi tu parles ». C’est comme si tu avais fini un jeu sans les easter eggs.
Qu’est-ce qui t’a redonné envie de faire de la musique ?
C’est Nabil, mon manager, dont je parle beaucoup dans le projet. Il est venu me voir et il a vu que j’étais dans un tunnel. On a parlé et on s’est fait une promesse. Revenir en indépendant, ne rien demander à personne, et faire de la musique comme j’aime le faire. C’est tout ce que je demandais. Je ne veux pas être un influenceur ou un clown qui amuse la galerie. LE JOUR D'APRÈS, c’est la réalité telle qu’elle est, sans artifices ou maquillage. J’aime trop la musique, j’aime trop créer, faire des prods et rapper. J’avais un ordi rempli de sons, des trucs de fou, mais j’ai renversé une bouteille dessus et j’ai tout perdu. En revenant à Paname, j’ai pris un nouveau PC et il a fallu que je reprenne tout à zéro. C’est grave, ça m’a donné envie de faire mieux.
Même visuellement, dans la cover et dans le clip de « OBSESSION », tu es revenu à quelque chose de très brut. À l’opposé de ton dernier clip « Canyon Diablo ».
Exactement, c’est tourné à la VHS. C’est un retour aux bases. Si le son est fait avec une certaine authenticité, il faut que le clip le soit aussi. Je ne voulais pas d’effets spéciaux ou être en beau gosse. Le but est de, petit à petit, enlever ce côté visuel et esthétique pour diriger uniquement les gens vers les plateformes de streaming sans qu’ils se disent : « Il est comme ci ou comme ça. » Je ne suis pas un mannequin, mon but est uniquement que tu ailles écouter ma musique et que tu te fasses tes interprétations. Je suis chaud de faire des visuels, mais si un clip débarque sur YouTube, il faut que ça soit un évènement. Je ne veux pas sortir quatre clips avec un projet parce qu’il faut le faire. Je suis à contre-courant de ces aspects mathématiques.

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Dans ce projet, tu rappes peut-être plus que jamais. Pourquoi ?
J’ai eu envie de revenir à l’essence. À mes tout débuts, quand j’avais 16 ou 17 ans, ça n’était que du rap. Ensuite, quand j’ai fait la connaissance de Jey [Laylow], on s’est beaucoup influencés, bien avant la mode de l’autotune par exemple. Il me disait d’essayer ce truc, mais je refusais en boucle alors que maintenant j’aime trop la mélodie. Mais le rap cru, les flows, c’est ça qui me fait vibrer à la base.
Quelle place donnes-tu à l’écriture dans ta musique ?
C’est primordial, mais je ne peux pas écrire sur une prod de merde. Tout doit être une dinguerie. Ce qui est sûr, c’est que je veux du fond. Sur NO FUTURE ou SIRIUS par exemple, tout part d’une topline. Tu donnes déjà une forme au son dans ta tête avant de gratter. Aujourd’hui, nique sa mère la forme. J’écris et ça donne ce que ça donne. Ce n’est pas moi qui décide, c’est la nouvelle direction artistique.
On est face à un tout nouveau Wit.
Oui. Après NO FUTURE, il y a LE JOUR D'APRÈS. Comme si après une apocalypse qui aurait tout détruit, de nouvelles choses reprenaient vie. C’est une renaissance avec une vision plus mature. Aujourd’hui, je sais.

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Tu es donc officiellement de retour ?
Ça y va sec, toute la semaine je fais des dingueries en studio. Plus je fais, plus je suis dans la facilité, et j’aime ce qu’il se passe en ce moment. Mon frérot Yaffa est mort très récemment, et juste avant de partir il m’a dit de le faire. Je ne le fais pas que pour lui, mais ça a créé un déclic chez moi. J’envoie des « Yaffa » à tout va dans mes couplets pour qu’il continue de vivre à travers moi. La prochaine fois que je m’en vais, vous ne me reverrez plus jamais. Je vais rester là jusqu’à ce que je n’en puisse plus.
LE JOUR D'APRÈS sonne comme une façon d’expliquer ton absence à ton public. Tu avais envie de transmettre ce message ?
De base, j’avais juste envie de faire du son. Nabil m’a ensuite soumis l’idée de trouver un thème, mais j’ai toujours été contre. En discutant, on en est venu à l’idée de juste expliquer ce qui s’est passé pendant ces quatre ans d’absence. Ça a fait tilt dans ma tête parce que c’est la vraie vie.
Il y a tout de même un interlude dans le projet, qui file une narration.
Oui, elle se déroule juste avant mon départ pour Montpellier. À la fin, on entend un message vocal de mon daron. Il faut savoir que j’ai grandi sans mes parents pendant très longtemps. De mes 15 à mes 21 ans, je n’avais aucun contact avec eux. Depuis que l’on se reparle, quelque chose de très fort s’est noué. J’ai dit à mon père de refaire comme toutes les fois où il m’a appelé pour avoir de mes nouvelles, et de faire comme s’il tombait sur messagerie. Il me dit toujours la même chose, c’est authentique à la mort. Le message d’après qu’on entend dans l’album, c’est pour que je serve des bails à quelqu’un à une soirée. Encore une fois, c’est cette dualité. Le daron est un peu comme la paix et l’amour, tandis que de l’autre côté il y a la noirceur, la perdition.
Tes parents te soutiennent dans ce que tu fais ?
Non, pas du tout. Chez moi il ne faut pas, c’est honteux. J’ai peur que ma mère tombe sur un son un jour. Dans mes morceaux, je raconte la vérité que je lui cache habituellement, je veux la préserver. Avant le rap, j’étais censé avoir un avenir dans le basket. Mais jamais mes parents ne sont venus à un entraînement ou à un match. J’ai ce truc de : « Tu pourras venir voir quand je te dirai que ça y est, je l’ai fait. » Il y a un grand amour entre nous, mais quand je fais mes trucs, je ne veux pas qu’ils voient. Ça me met très mal à l’aise.

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Tu sembles aussi très attaché à ton équipe.
On est une grande famille comme tu n’en as jamais vu, je les aime. À mes 15 ans, ça dormait dehors dans des parkings, puis un jour chez Jey et un jour chez Osman [Mercan, réalisateur des visuels de TBMA et du Digital Mundo], jusqu’à ce qu’il en puisse plus de nous [rires] ! Je suis parti de chez mes parents parce qu’en les entendant parler de problème de biff, je me suis dit que ça leur ferait une bouche de moins à nourrir. Je les ai peut-être fait pleurer ou souffrir, mais aujourd’hui ils sont fiers de moi.
Tu réalises l’aspect quasi punk et très radical de ta mentale ?
De fou [rires]. Mais ne me vois pas comme un dépressif ! Je suis très heureux, je remercie Dieu tous les jours. Même pour tout l’or du monde, je ne voudrais pas être un autre humain. Je suis trop heureux de la façon dont je réfléchis.
Quelle est la suite pour toi ?
Le prochain projet. Je ne ferai toujours pas de concession, sache-le. Je ferais peut-être ensuite une musique plus réfléchie, mais là j’ai besoin de cracher, de vomir. J’aimerais aussi à terme décentrer ma musique, qu’elle soit moins personnelle, qu’il y ait moins de « je ».
Un mot de la fin ?
Restez authentiques, droits dans vos bottes. Restez loyaux, n’oubliez pas d’où vous venez ni pourquoi vous le faites. Les humains ont oublié qu’ils ont des pouvoirs magiques. Il y a un potentiel en chacun de nous, quelque chose qui sort de ce que l’on connaît. On a le pouvoir de matérialiser notre pensée, on peut créer ce qui n’a jamais existé.