Fif Tobossi : « Si on ne raconte pas le rap, d’autres le feront à notre place »

  • Propos recueillis par Victor Dimitrov
  • Date

Après une vingtaine d'années consacrées à Booska-P, Fif Tobossi continue de raconter le rap français. Le 16 mars, le premier épisode d’un documentaire dont il est coproducteur, était diffusé sur MTV. Pendant cinq semaines, à raison d’un épisode hebdomadaire, 20 piges analyse et compare deux périodes dorées pour le rap français. Fif nous raconte sa conception et son envie de s’investir dans des projets de transmission comme celui-ci.

Aujourd’hui nous sommes à Châtelet. Qu’est-ce que ce lieu représente pour toi ?

Ça fait longtemps que je n’ai pas traîné ici. Dans les années 90, c’est là que tout se passait. Avec les RER qui convergent ici, toutes les personnes de la culture hip-hop s’y retrouvaient. Je venais à la FNAC des Halles pour choper 5Styles, un magazine mensuel distribué gratuitement, et j’y restais toute la journée. Il y avait plein de magasins hip-hop, de vinyles, de sapes, qui diffusaient de la musique à fond. C’est ici que les flyers pour les soirées rap étaient distribués, ça dansait sur la place Carrée… C’était vraiment les states ! Depuis, ça s’est un peu « boboïsé ». Je crois que quasiment tout a fermé. Mais il y a La Place pour conserver l’ADN hip-hop du lieu.

Depuis quelques mois, tu as pris tes distances avec Booska-P, tu n’aurais pas pu réaliser 20 piges avec eux ?

J’ai toujours mes parts dans Booska-P, mais la ligne éditoriale ne correspond plus vraiment à ce que j’ai envie de faire. J’en ai eu un peu marre de faire des interviews. Ce média est un site d’actualité, et je préfère raconter des histoires. En plus, énormément de médias ont émergé et j’ai le sentiment qu’on raconte un peu tous la même chose. Le documentaire, c’est un nouveau challenge. Pour le surmonter, j’avais besoin d’une équipe qualifiée. C’est drôle, parce que finalement je retourne aux sources. Un ami m’a rappelé que mon premier fait d’armes, c’était un documentaire de 20 minutes sur les rappeurs de mon quartier. 

Affiche du documentaire 20 piges diffusé sur MTV

Tu es coproducteur de cette série documentaire, qu’est-ce que ça implique ?

Nous sommes trois : HKCORP, Onlypro et moi. Chacun à des tâches bien définies. HKCORP ont l’habitude des projets d’envergures. Ils s’occupent du matériel, du personnel, des plannings… Onlypro se sont concentrés sur les financements et le bouclage des artistes. Moi, j’ai mon expérience de vingt ans dans le rap, et le réseau qui va avec. Quand j’appelle les gens, c’est gage de qualité. C’est plus facile pour convaincre quand il y a des blocages. Ça a parfois été le cas pour l’utilisation de certains morceaux, qui valent beaucoup d’argent. Heureusement, des artistes ont eu l’esprit hip-hop et ont accepté que l’on s’arrange « pour la culture ».

Est-ce que vous avez été entièrement libres sur le fond ? 

MTV a refusé un épisode que l’on avait préparé sur les sapes. Ils estimaient que ça ne rentrait pas dans leur ligne éditoriale parce que ça ne parlait pas de musique [MTV signifie Music Television]. À part ça, ils nous ont fait confiance, c’est une chance. D’autres plateformes auraient davantage eu leur mot à dire.

Comment t’es venue l’idée de comparer les deux âges d’or du rap français ? 

C’était pendant le Covid-19, en tombant sur une pile de vieux magazines dans mon grenier. J’ai redécouvert les couvertures, les interviews, les pages de pub… Ça m’a replongé dans cette époque, qui, je trouve, est très mal documentée sur internet. J’ai eu envie que la jeunesse la découvre. Je suis un enfant du rap. J’ai 6 ans quand je me prends le mouvement, et 12 en 1995 quand il explose. Je suis auditeur du premier âge d’or [de 1995 à 2000] et acteur de l’industrie du deuxième [de 2015 à 2020]. Je me suis dit que je pouvais être le pont entre ces deux périodes. J’ai voulu concevoir un projet pédagogique, pas un truc d’ancien pour rabâcher que le rap c’était mieux avant.

PatrimoineZer est aussi un concept où tu compares deux générations…

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