Chilla : « Je n’ai pas réussi à me faire comprendre »

  • Propos recueillis par Lise Lacombe
  • Date

Il y a l’ancien et le nouveau monde. Celui d’avant et celui d’après-Covid. Dans le premier, Chilla est la nouvelle tête du rap français, sa tournée est sold out et son premier album est une réussite. Dans le deuxième, Chilla tourne à vide et sort un deuxième album qu’elle considère comme un « échec ». Empêtrée dans un questionnement identitaire imposé par des médias qui tentent de faire d’elle la prochaine rappeuse féministe, la Franco-Malgache a mis du temps à se retrouver. Bientôt trentenaire et plus consciente que jamais de son statut dans l’industrie, elle sort son troisième album, 333. Une fiole de jouvence élaborée à partir d’une rupture, source de renouveau et de lâcher-prise. 

Tu t’apprêtes à sortir ton troisième album, deux ans après EGO. Que s’est-il passé pour toi pendant ces deux années ? 

C’était le moment de couper. Ça faisait six ans que j’étais en tournée et je n’avais jamais eu de pause. L’une de mes dernières dates était à Madagascar, mon pays d’origine. J’ai fait un concert sur place et j’ai pris deux semaines de vacances là-bas. Sachant que je sortais de trois années très lourdes, même sur le plan personnel, j’en avais besoin. J’ai fait un road trip avec mes deux cousines et je ne suis pas allée en studio pendant un mois et demi, ce qui ne m’était jamais arrivé. 

En quoi cette pause a-t-elle été nécessaire ?  

Il fallait que je me recentre sur moi pour enfin être là pour les autres. Depuis la Covid, je m’étais renfermée sur moi-même, je vivais mal le lien avec les gens. Tout était devenu machinal… Je m’étais tellement rendue disponible pour ma carrière, pour mes équipes, pour mon public, que je ne l’étais plus pour mes proches. Finir ma tournée sur les terres de mon père, que j’ai perdu très jeune et qui m’a transmis l’amour de la musique, c’était comme si la boucle était bouclée. Quand je suis revenue, j’avais envie de créer dans une forme beaucoup plus libre et moins intellectualisée. Le premier morceau que j’ai fait en rentrant, c’était « L.A. », qui est l’introduction de mon nouvel album, 333

Photographie de la rappeuse Chilla

© Chloé Rose

As-tu eu l’impression de manquer de spontanéité dans ta musique ? 

Après Mūn, j’ai subi le contrecoup de la médiatisation que j’avais reçue. En arrivant dans le rap, j’ai eu de la chance. Il n’y avait pas trop de meufs, Tefa m’a repérée et je me suis retrouvée signée par l’un des plus importants producteurs de rap. Ensuite, je me suis fait remarquer avec mes performances et j’ai été validée par de gros artistes tels que Fianso, Kery James et Lino. Donc j’ai débarqué comme la petite sœur du rap. Jusque-là, tout était très spontané. Sauf qu’avec « Si j’étais un homme » ou « Am Stram Gram », les gens m’ont assimilée à un discours politisé. Je me suis tapé les médias mainstream, et la machine était lancée, mais je n’avais pas envie d’être utilisée comme un outil de communication politique. À partir de là, j’ai eu une réflexion identitaire, à me demander ce que les gens attendaient de moi… Des questions que je ne m’étais jamais posées. Et puis il y a eu le Covid, la moitié des dates de ma tournée ont sauté alors qu’elles étaient presque toutes complètes. Après cette période, je ne savais plus ce que je voulais, tout s’est déréglé. 

Cette quête identitaire a-t-elle déteint sur ton deuxième album, EGO, sorti en 2022 ? 

Avec du recul, EGO est un échec. D’abord d’un point de vue de l’industrie et de l’oseille, parce que les résultats étaient moins bons que sur le premier projet, donc on a régressé. Mais l’échec est surtout personnel, car j’ai perdu des gens, je n’ai pas réussi à me faire comprendre ni à montrer où je voulais aller. 

Que reproches-tu à ce disque ? 

EGO est un bon album, mais trop versatile. J’étais encore tiraillée par l’envie de prouver, et j’avais la pression parce que c’était le deuxième album, qu’il devait faire la différence. Quand je le réécoute, je le trouve indigeste au vu de l’époque. Il y a 18 titres, et même s’il est riche musicalement, c’est davantage une mixtape, car ça part dans tous les sens. Mais je n’ai pas de regrets, ça a été une putain de leçon. Après cet album, j’ai continué avec une tournée qui était loin d’être complète vu que j’ai commencé la première date avec 10 spectateurs dans une salle de 700 personnes. Il y avait quand même de quoi se remettre en question. Ça m’a appris que ça ne marche jamais mieux pour moi que quand je m’en bats les couilles. Mon nouvel album, 333, n’a été créé que dans le kiff, sans pression, et je crois que je propose un projet qui a une cohérence, une atmosphère, un thème prédominant, qui est l’amour.

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