Moona : « Lors de ma première signature, j'étais naïve »

  • Écrit par Imane Yogo Njee
  • Propos recueillis par Lise Lacombe
  • Date

En 2021, la rappeuse Moona, déjà repérée pour ses freestyles, marque les esprits avec le titre « Ryuk », dans lequel elle promet un album à venir. Ce n’est pourtant que quatre ans plus tard qu'elle publie un nouvel EP. Un trou d’air en pleine ascension qu’elle doit à un seul mauvais pilote : l’industrie. Menaces, censure artistique, conflits en label… en attendant d’imposer sa Moonarchie, l’artiste retrace pour Mosaïque les difficultés pour faire carrière en tant que femme.

Tu n'avais plus sorti de projet depuis six ans. Tu reviens avec l'EP Moonarchie, Vol. 1, comment te sens-tu ?

J'ai la pression parce que j’opère un changement de direction musicale. J’ai toujours eu des inspirations de musiques d’Amérique latine et méditerranéennes, à l’image du projet Hasta la vie que j’avais sorti en 2019, mais on m'a connue dans le rap pur et dur, le kickage ou encore les freestyles. Peu importe la musicalité, je garde la même profondeur au niveau de ma plume. Je n’ai pas changé de personnalité, j'ai juste changé d'univers sonore et eu envie d'explorer toutes les références que j'ai toujours kiffées. Ce changement de direction, il peut être bien reçu ou catastrophique. Pour l’instant, on a de très bons retours. Je suis trop contente.

Tu as signé chez Sony en 2017, alors que tu n’avais que la vingtaine. Ton absence est-elle liée à des difficultés avec ce contrat ?

À l’époque, je pensais que je pouvais tout gérer. En réalité, j’étais une boss lady mais sans le boss [rires]. J’ai un peu fait n'importe quoi. Quand j’ai signé en label, j’étais naïve et peu entourée, donc j’ai fait les mauvais choix. Des partenaires extérieurs m’ont donné de mauvais conseils que j’ai écoutés. Je me suis associée avec un label au hasard et ça s’est mal passé. Six mois après, un litige s’est ouvert concernant un contrat que je refusais de signer car il ne me convenait pas. On m’a fait du chantage, des menaces de représailles physiques… Pendant un moment, je ne me sentais pas en sécurité, et j’ai préféré dormir ailleurs que chez moi.

Quelles ont été les conséquences pour toi ?

Cette période a duré cinq ans avec des états de dépression et de solitude. Je suis devenue paranoïaque à tous les niveaux de ma vie, ma confiance était brisée. J'avais tout le temps l'impression qu'on voulait me voler. À part mon manager, je n’arrivais à communiquer avec personne. Je réagissais avec colère quand je ne comprenais pas les choses. Il fallait que tout soit très clair, je posais plusieurs fois les mêmes questions. Même en dehors du monde de la musique, j’avais l’impression que les gens me fréquentaient uniquement par intérêt. Je n’ai pas totalement guéri, mais j’en ai fait une force, et j’en parle sur le morceau « Si tu savais ». Aujourd’hui, je suis plus sereine parce que j'ai appris ce que sont l'industrie et ses rouages. Il suffit de les comprendre pour avancer tranquillement. J’ai signé à nouveau en label en gardant mes distances, je me protège.

L'artiste Moona debout sur un fond rouge, penchée en avant

©zeubleu.art

Avec du recul, y aurait-il des choses que tu aurais aimé faire différemment à tes débuts ?

Je conseillerais d'avoir un bon avocat qui n'est pas connu dans l’industrie musicale et d’être accompagné par un manager. J’ai signé mon contrat à l’arrache car je ne savais pas le lire. Je n’ai pas voulu prendre d'avocat car ça coûtait cher, mais j’aurais dû le faire. Chaque artiste devrait savoir qu’il doit entamer des négociations avant de signer, ce qu’on te propose n’est jamais le maximum que tu peux obtenir.

D'autant plus que c'est un milieu où certaines personnes peuvent tenter d'abuser de leur pouvoir. En as-tu souffert ?

Malheureusement, le milieu est également perverti par beaucoup de prédateurs. Des producteurs m’ont donné des rendez-vous seulement pour me draguer. Une fois, une personne réputée m’a fait venir en prétextant une mission professionnelle et, finalement, la session a totalement vrillé. Je suis sortie, j’ai claqué la porte. Maintenant, lors des premières rencontres, je demande à mon manager d’être présent, ce qui n’est pas normal. Ça doit être à eux de changer, et certainement pas à moi.

As-tu déjà été confrontée à des personnes qui ont voulu t'imposer une direction artistique ?

De ce côté là, il y avait ce fantasme de « la nouvelle Diam’s », donc il fallait entrer dans certains codes. Sauf qu’à l’époque, dès que je voulais aller vers plus de féminité, on me disait : « Mais regarde Shay, ça ne marche pas. » À ce moment-là, elle démarrait et le milieu ne comprenait pas encore sa proposition. Cette comparaison constante est très violente. L’industrie te met très rapidement dans une case qui t’empêche d’accéder à plus de visibilité. En tant que femme maghrébine, je recevais aussi ce discours : « T’es rebeu ? Il faut que tu portes un jean et un tee-shirt, qu’on ne te voie pas trop, que tu ne déranges pas. Les Arabes, ils n’aiment pas trop si t’es trop féminine. Tu sors de leurs codes. » Il y a une stigmatisation du public et de l’artiste. Sans compter les insultes racistes que je pouvais recevoir comme « beurette ». Moi, j’étais inspirée par des rappeuses comme M.I.A. et je pense qu’il reste beaucoup de femmes qui me ressemblent – des meufs de cité qui parlent fort et peuvent se montrer aussi sexy que gang – et qui ne sont pas encore représentées dans la musique. Heureusement aujourd'hui, il y a plein de meufs qui fonctionnent : Theodora, Denden ou Merveille ont des personnalités différentes et apportent de nouvelles choses, grâce à des outils comme TikTok. 

L'artiste Moona debout sur un fond blanc, en train de danser

©zeubleu.art

Tu as dû faire face aux clichés du rap féminin, terme abandonné aujourd’hui et critiqué. Comment le vivais-tu et est-ce que tu sens que ça évolue aujourd’hui ?

Pour moi, la musique n’est pas genrée, je suis non binaire dans le rap [rires]. Souvent, les projets qu’on me proposait étaient 100 % féminins. Ce sont des initiatives qui peuvent te mettre dans une case qui te ferme à davantage de visibilité. L'industrie te met une étiquette de « rappeuse », mais les artistes le font beaucoup moins. J’ai eu l’occasion d’être au studio avec Bolémvn, et je ne suis pas la seule meuf avec qui il a collaboré. Si j'ai envie de travailler avec des mecs, je vais les chercher.

En parallèle de ta carrière personnelle, tu t’es imposée comme auteure-compositrice pour d’autres, dont Shay. Comment ce rôle est-il arrivé dans ta vie ?

Je fais les toplines et j’écris pour Shay, Eva, Amel Bent, MadeInParis ou encore Bamby. Au départ je ne voulais pas, j’avais mon rêve à moi, puis j’ai accepté et j'ai kiffé. La première personne qui m’a contacté, c'est Shay. Notre collaboration a bien marché et Jolie Go a fini disque de platine. Aujourd'hui, je suis clairement plus souvent au studio pour les autres que pour moi. Même si c’est alimentaire, ça reste de la musique, donc c’est cool. Parfois, je me rends compte du contraste et ce n'est pas facile. Je travaille pour des artistes confirmés, je suis dans des conforts de studio, il y a des beatmakers avec qui j’ai toujours voulu rêver de travailler, et puis après je reviens dans mon petit monde. Je reste super fière de moi et je ne suis en compétition avec personne mise à part avec moi-même. J'ai envie de réussir et d’apprendre des gens.

En revenant après six ans d'absence, n'as-tu pas eu la pression des chiffres ?

J’ai toujours cette pression, heureusement mon manager me préserve de tout ça. Ce sont des conversations très violentes, je pense que les artistes devraient en être protégées. Parler de résultats peut être frustrant et ces discussions peuvent être traumatisantes. Elles restent en tête et tu peux avoir l'impression de décevoir. Tout le monde doit rester à sa place, l’artiste doit faire son art et le reste c'est à son équipe de le gérer. 

L'artiste Moona debout sur un fond rouge

©zeubleu.art

D’où t’est venue cette envie de prendre de la distance avec ton style habituel ?

J’avais déjà cette envie de plus de mélodie, même si je ne savais pas exactement comment pousser mon délire, ni comment le mettre en pratique. Je m’y suis mise à fond ces trois dernières années. J’ai fait des maquettes dans ma chambre et j’ai puisé dans mes références : Renaud, Georges Brassens, Diana Ross... C’était très libérateur d'aller au bout de mes idées sans être avec une maison de disques, je n'étais pas pressée par le temps.

Souhaites-tu complètement délaisser le rap ?

Ce n’est pas parce que je ne débite plus sur de la trap que je ne suis plus une rappeuse. Pour moi, Renaud ou Aznavour sont des rappeurs. Le rap n'est pas qu'un style musical, il appartient à une culture, celle du hip-hop, et je me bats pour qu'on la ressente encore. C'est juste que je préfère aujourd'hui être dans la musicalité, avoir mes sonorités. J’ai envie de faire de la musique pour représenter une scène qui ne l’est pas, une meuf de cité qui s’en bat les couilles, qui n'a pas peur des hommes, qui peut se montrer aussi sexy, féminine que gang. Les rappeurs abordent un peu les mêmes sujets. Quand ils vont faire des sons de love, ils ont le droit d'être amoureux. Ils peuvent sortir de leur univers de base sans que ce soit forcément un problème. Pour nous, c’est plus compliqué.

Le titre de ton nouveau projet, Moonarchie, Vol. 1, laisse présager une série. La deuxième partie prend-elle la même direction ?

Dans Moonarchie, Vol. 2, il y aura plus de profondeur dans mes textes parce que je veux qu'on comprenne qui je suis. Mon combat à moi, c’est de représenter certaines choses de mon vécu, ce que j’ai de plus personnel. Ça va être méchant.

Retrouve cet article dans le numéro 11 de Mosaïque N°11 - PACK OR Découvrir