USKY : « J’ai été sur le banc longtemps, alors que je me sentais prêt »

Un an après son premier projet sorti au sein du 92i, USKY est déjà de retour avec Anhédonie, un concert en solo à La Gaîté Lyrique, et une tournée. Il nous raconte comment il s'est préparé, tout en changeant radicalement sa manière de travailler. Un temps pour aborder son rapport à l’écriture, son intégration au sein du label, et ses aspirations. 

 

Après la sortie d’Anhédonie et une première Gaîté Lyrique complète, comment est-ce que tu sens ? 

Très bien, j’ai l’impression qu’il s’est passé quelque chose avec ce projet, les supporters sont de plus en plus nombreux. En vrai, tout se passe comme je le pensais : ma fanbase se consolide, un an après ma signature chez 92i. Le concert, ça faisait deux ans que je n’en avais pas fait en solo. Le dernier, c’était à la Boule Noire et on était sept fois moins ! J’ai fait des dates avec Booba, mais c’était des contextes de grosse foule où je passais entre des hits très sévères [rires]. Là, c’était vraiment mon concert, c’était lourd.  

 

Comment as-tu préparé cette date à La Gaîté Lyrique ?

J’ai fait ça avec Arachnée, mon tourneur, et Nemir qui était là pour organiser le concert. Sur 18 à 20 titres, il faut raconter une histoire. Alors on a choisi des morceaux de Rétina [son précédent projet], on a puisé dans certains sons du passé, puis on a ouvert sur Anhédonie. Il y a aussi le temps de parole à gérer, les interactions, les lumières, les écrans géants de La Gaîté Lyrique… Ce n’était pas si simple. J’ai dû aussi apprendre à incarner mon projet sur scène, comme je sais le faire en studio. Nemir peut te donner les clés dont tu as besoin, parce qu’il a fait plus de 400 dates dans sa vie. Que ce soit en solo ou en première partie de gros artistes. Il a même parfois été remplacé parce qu’il était plus chaud que les mecs qui passaient après ! Du coup, je n’étais pas stressé, tout était millimétré, et on a affiché complet. 

 

L’anhédonie, c’est la perte de la capacité à ressentir le plaisir. Pourquoi as-tu choisi ce nom pour ton projet ?

Quand je suis arrivé en tournée avec Booba, j’ai eu l’impression d’avoir accès à quelque chose que je regardais de loin toute ma vie. Ça y est, il y avait 40 000 personnes et je chantais. Je considère que, dans ma carrière, j’ai été sur le banc pendant longtemps, alors que je me sentais prêt. Lorsque je sortais un projet, je retournais en studio le jour suivant. Je n’avais pas l’aspect tour, management… Le vivre, ça provoque beaucoup d’adrénaline, j’ai kiffé. Mais bon, quand tu rentres à Paris, pour retrouver cette sensation, c’est très compliqué. Tu te retrouves dans le doute, alors que tu as vécu des supers trucs. C’est ce qui donne ce projet un peu dépressif, qui était d’ailleurs censé sortir en hiver. 

 
 

Tu dit avoir longtemps été sur le banc. Ad Vitam Aeternam est le premier projet sur lequel tu poses qui est certifié disque d’or, qu’est ce que ça signifie pour toi ? 

C’est énorme. J’ai déjà écrit, topline ou co-composé sur des singles ou des projets qui ont fini or, mais là c’est vraiment moi sur le projet. En plus de ça, notre titre « Bégnini » est constant dans les streams depuis sa sortie, ça ne rechute pas. Avec le temps, il finira peut être certifié aussi. Booba a écrit un super couplet. D’ailleurs, tous les artistes du 92i avec qui j’ai collaboré cette année m’ont donné quasiment leur meilleur couplet en featuring. Quand j’invite un artiste, je n’ai pas de problème d’égo à savoir qui va graille qui sur le son. Comme je demande à des personnes qui sont relativement plus avancées  que moi dans leur carrière, je fais tout pour les mettre dans les meilleures conditions. Je réfléchis à chaque détail : la prod, mon type de flow, l’espace que je vais leur laisser… Tout est fait pour qu’ils arrivent en star sur les morceaux. On peut le voir sur « Aaliyah » [en featuring avec Green Montana], je n’ai qu’une intro et le refrain, pas vraiment de couplet.  

 

Tu as changé ta méthodologie de travail en te concentrant davantage sur l’écriture, ça a été difficile ? 

Plutôt. J’ai totalement arrêté de topliner, avant de craquer sur la fin du projet pour le son « Roméo ». À chaque fois, je partais vraiment du texte en écrivant sur des boucles qui tournaient dans le studio. J’étais tout le temps en remise en question, en essayant d’être au maximum à l’écoute. Alors, quand on me disait qu’une rime était faible et qu’elle méritait d’être retravaillée, je retournais en studio et je recommençais. On est à un moment où le texte s’efface de plus en plus dans le rap, j’essaye d’aller à contre-courant.

 

Sur « Enfant terrible », en featuring avec Sicario, tu dis : « Je peux pas te donner le respect que tu crois qu’tu mérites si t’écris pas tes textes ». Tu penses qu’un artiste n’est pas complet sans l’écriture ?

L’écriture, c’est ce qu’il y a de plus dur dans la musique, on l’oublie souvent. Il n’y a aucun mal à se faire aider. Gandhi, un rappeur dont je suis totalement fan, un roi sans couronne, a travaillé plusieurs fois avec moi pour l’écriture du projet. Moi-même, je l’ai fait pour des millions d’artistes. Mais il ne faut pas que ce soit sur chaque son, ça me paraît compliqué dans un registre rap. Un auditeur lambda n’en à rien à foutre et il a raison. Mais moi qui suis dans la musique, je vais donner peut-être plus de crédit à quelqu’un qui a fait des sons un peu moins lourds, mais qui écrit ses textes. Et puis ça ne m’empêche pas de reconnaître toutes les autres qualités.

 
 

Sur Anhédonie, tu as invité Bekar, pourquoi lui  ? 

Je me suis vraiment pris sa musique il y a quelques mois, j’ai tout écouté. C’est pour ça qu’il y a autant de références à sa discographie dans mon couplet. On a le même producteur de spectacle et je lui ai fait savoir que je voulais le recevoir sur le projet. Alors, Bekar m’a invité à l’une de ses dates en festival dans le 92 où on a pu discuter. En studio, ça a été un des sons les plus compliqués à boucler. On est revenus huit fois dessus, en trois sessions différentes. À la fin, on s’est juste fait un kiff. Il lâche un gros couplet rap, je viens avec mon délire et un petit refrain à la fin.

 

À part l’écriture, d’autres facettes de ta musique ont été repensées ? 

Je trouve que le projet USKY manquait cruellement de cohérence. C’est marrant parce que les seules critiques que je vois passer sur Anhédonie, c’est que limite c’est trop cohérent maintenant [rires]. Mais c’est mission accomplie, je suis trop content parce que c’est du USKY pur et que si tu n’aimes pas, tu peux descendre du train. On a vraiment cherché cette cohérence en studio. Je veux fidéliser des gens à ce style-là. 

 

Tu sembles aussi avoir réussi à allier les codes pirates de 92i à ton image personnelle.

Sans calcul, franchement. Au concert, j’ai vu des gens qui me suivent depuis longtemps, d’autres qui sont arrivés avec du merch’ La Piraterie, 92i… Ça me rend fier de voir que j’ai réussi à intégrer un mood qui leur parle. Dans d’autres collectifs, il y a moins cette notion d’équipage, je suis content de voir des adeptes du label se prendre USKY comme un vent frais. Forcément, je les mets en avant sur mes réseaux, naturellement, et ça ne me dénature en rien, c’est lourd. 

 
 

Au micro de DVM show, tu disais que le public n'arrive pas à revendiquer un artiste tant qu'il n'est pas à la mode. Tu le déplores ?

L’extrait qui tourne est un peu brutal. J’expliquais que depuis le passage de La Fouine aux Flammes, les DJ des soirées hip-hop peuvent se permettre de remettre ses morceaux en soirée, alors que ça aurait été impensable quelques semaines plus tôt. Il n’a fallu qu’un bon coup de com. Kopp me le dit souvent : « Avoir des hits, c’est se créer une armure. » Plus ils ont été importants, plus l’armure est solide. La Fouine est un exemple parfait de ce phénomène. Il a renversé la tendance sans ressortir de musique. Il a juste mis un coup de polish sur son armure. Ça montre que tant que ce n’est pas stylé de t’aimer, on ne va pas t’aimer. C’est ça que je déplore. Les gens ne jugent pas vraiment à leurs goûts. 

 

Qu’est-ce que tu souhaites pour la suite de ta carrière ? 

D’abord faire vivre le projet, peut-être clipper un nouveau morceau, ou faire une ou deux versions live par exemple. Je vais aussi continuer d’accompagner Booba sur certains shows en festival et de défendre sur scène les featurings avec les membres du 92i. Bien sûr, j’ai aussi annoncé ma tournée, on va faire pas mal de petites salles en France pour aller à la rencontre des gens qui supportent. Je ne l’ai encore jamais fait, je pense qu’il était temps. La scène, c’est vraiment quelque chose que j’aime et une corde supplémentaire à mon arc que je vais utiliser autant que possible. En plus de ça, je veux développer mes projets pour entrer dans une nouvelle phase de ma carrière. Aujourd’hui, le combat n'est plus que personnel. J’arrive à vivre de ma musique, mais je veux pouvoir intégrer mes proches et les rendre fiers. J’ai envie de rapporter des victoires à mon label. Ça me met la pression mais je ne pense pas qu’elle soit négative, j’arrive de plus en plus à la gérer. 

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