JMK$ : « L’industrie m’a dégoûté »
Le Phocéen JMK$ est revenu en force avec SOUTH STORY, un projet 10 titres en commun avec le producteur star Ambezza. Présenté comme le symbole d’un retour aux sources et d’un reset industriel, l’EP a été entièrement auto-produit, fait suffisamment rare, sur un artiste de cet envergure, pour être souligné. Rencontre avec un éternel passionné écoeuré par les vices de l’industrie.
Comment vas-tu depuis la sortie de SOUTH STORY ?
Ça va super bien, c’est une tape que je n’ai pas énormément promotionné, je voulais vraiment retrouver mes sensations. Mon projet de l’année dernière, SOUTH BABY, je ne dis pas que je n’en suis pas fier, mais je n’étais pas au top de ma forme mentalement. D’un point de vue personnel, je retrouve goût à faire de la musique. SOUTH STORY, ce sont des sons que j’ai envie de défendre sur scène.
Que penses-tu des retours ?
J’ai vu que les gens s’étaient vraiment pris le projet. Beaucoup d’auditeurs qui m’écoutaient en 2021 sont revenus vers moi en me disant : « Ce projet, c’est vraiment quelque chose ! » Mais je suis quelqu’un d’ambitieux et j’en veux toujours plus. Quand tu fais un projet 100 % indépendant comme celui-là, c’est beaucoup de travail et d’argent. Le rap est un sport de riche. Pour avoir une rentabilité, c’est très dur.
Tu avais perdu le plaisir de faire de la musique ?
Franchement, oui. Le monde de la musique me dérangeait. Je suis un passionné, la musique c’est toute ma vie, alors quand j’ai constaté que le business prenait toute la place, je me suis pris une gifle. J’étais choqué d’avoir raison sur des points où je pensais être parano.
D’où vient cette prise de conscience ?
Ça s’est fait en 2022 je pense, quand j’ai sorti Bad Boy Romance. Je ne dis pas que c’était le meilleur projet de l’année, mais quand l’industrie ne veut pas te voir, tu le ressens. Ça a été le premier choc, et je me suis dit qu’il allait vraiment falloir que je signe en distribution sinon j’allais me faire bouffer [grâce à un contrat de distribution, une maison de disque se charge de la mise à disposition de la musique sur les plateformes de streaming et en rayon dans les magasins, NDLR]. Il existe des gens qui réussissent très bien avec Distrokid, mais ils ont généralement une équipe derrière, même s’ils ne veulent pas le dire. À ce moment-là, je travaillais avec quelques amis, mais ils n’étaient pas impliqués à 100 % dans ce que je faisais. Malgré les bons retours, les résultats du projet m’ont mis une petite claque. Je n’étais pas très bien. J’avais l’impression de travailler pour rien, ça m’a tourmenté et faussé dans la création. Ce n’est évidemment que ma perception des choses, je tiens à le dire. J’ai peut-être tort, mais ce que j’ai vécu m’a dégoûté. Heureusement, j’ai l’impression que le public français est intelligent et reprend le pouvoir. Les choses se font de manière plus organique.
Tu as donc produit SOUTH STORY totalement seul ?
Tout seul, de A à Z. J’allais aux sessions tout seul, je les payais tout seul, j’ai connecté avec Ambezza tout seul, j’ai fait la promo tout seul, etc. J’ai des amis qui m’allègent, mais ils n’ont pas envie de rentrer dans l’industrie.
Tu ne t’es pas rendu fou ?
Je te dis la vérité, ça rend fou. L’expérience n’est pas kiffable. Ça fait plus ou moins sept ans que je suis dans cette situation, c’est épuisant. J’arrive à un âge [28 ans, NDLR] où j’ai d’autres plans dans la vie. Je suis un artiste, je n’ai pas envie de me casser la tête à aller démarcher. Forcément, il y a des logiques industrielles qui font que si tu ne fais rien, tu es noyé. Il y a des projets qui sortent tout le temps et c’est d’ailleurs pour ça que j’ai drop SOUTH STORY un lundi, pour plus de visibilité.
SOUTH STORY est le projet le plus court de ta discographie, avec dix titres. Pourquoi ce choix ?
J’ai préféré faire dix titres qui ont une couleur, plutôt que de faire quinze titres qui s'éparpillent. J’ai voulu condenser, ce que je fais rarement. Normalement, dès que je fais un son, je le sors ensuite. Et ça peut devenir une mauvaise habitude. Je travaille mes projets comme des mixtapes à l’américaine, une vraie compilation. Mais là, la tracklist est travaillée, les sons s’enchaînent par thème ou même parfois via l’instru pour que les gens la lisent d’une traite.
Dans le projet, tu retournes également à une trap très sobre, ton premier amour.
Pour retrouver le goût de la musique, j’ai, par exemple, parlé avec Zeu. Il m’a dit que, parfois, il faut retourner aux bases. Je voulais donc quelque chose de plus rappé, de plus trap. J’apprécie l’autotune, je le fais de bon cœur, mais il fallait que je revienne à ce que j’aime le plus. En plus de ça, les prods que m'envoyait Ambezza m’inspiraient plus quelque chose de rappé que de chanté.
Comment la connexion avec Ambezza, producteur allemand multi-platine qui a collaboré avec les plus grandes stars internationales (Drake, Future, Kanye West, Gunna, Lil Uzi Vert, Playboi Carti… ) s’est faite ?
Sur Instagram. Il m’a contacté en 2023 parce qu'il s’était pris SOUTH BABY. Comme quoi, même dans le négatif, on obtient toujours du positif. Ça m’a remotivé car il a produit des trucs de ouf. Il m’a envoyé un pack de cinq prods et chacune était dingue. Je n’ai même pas pensé au fait que c’était un gros nom. Je me suis juste dit qu’il était trop fort. Quelques semaines plus tard, je lui ai proposé de faire ce petit EP en commun.
C’est la première fois qu’il s’associe à un rappeur sur tout un projet. Ça fait chaud au cœur, non ?
Je suis fier qu’il m’ait donné cette confiance. On s’est rencontré ensuite à Londres mais on a pas travaillé le projet à deux, ça s’est fait à distance. Je ne suis pas quelqu’un qui va beaucoup en studio, donc ça s’est étalé dans le temps. À chaque fois que je lui envoyais des maquettes, il adorait, alors ça m’a poussé.
Qu’est-ce qui te plaît particulièrement dans sa musique ?
Il a une facilité à trouver le truc qui va accrocher l’oreille. Il y a une certaine simplicité dans ses prods, même si tu entends direct que tout est très travaillé et que le mix est incroyable. Il m’a envoyé pas mal de sonorités différentes, mais sur de la memphis trap, un délire assez sombre, c’était trop. Ses pianos, c’est une folie. C’est sans doute l’un des meilleurs au monde dans cette forme de simplicité qui parle aux gens. Les sons qu’il a produit parlent pour lui.
En plus d’Ambezza, tu as invité d’autres gros artistes sur le projet, dont A$AP Ant. Tu as récemment tweeté qu’en 2014 ça aurait été un rêve pour toi de collaborer avec lui. Aujourd’hui, c’est votre deuxième featuring. Quelle relation entretenez-vous ?
C’est une longue histoire que je n’ai jamais racontée jusqu’ici. Je l’ai d’abord contacté en 2014 avec mon groupe Summum Klan, parce que j’étais complètement fan de lui et du A$AP Mob, comme beaucoup à l’époque. J’ai donc envoyé un mail à A$AP Ant et Lil Uzi Vert pour leur demander un feat. Je n’ai jamais eu de nouvelles de Lil Uzi Vert, mais A$AP Ant a répondu. Il était chaud contre 350 euros. Les membres du groupe n’étaient pas tous fan du Mob, et ça représentait beaucoup pour des jeunes de 17 ou 18 ans, donc on n’a pas pu réunir la somme. J’étais dégoûté.
Quelque temps plus tard, on a été booké à un concert dans un bar du 19ème arrondissement de Paris, où une partie du A$AP Mob était présente. On est tombé sur Ant et on lui a expliqué que c’était nous qui voulions le feat. Il a pris le contact de mon gars Lucien et il nous a invité à passer à l’hôtel. Je te refais la scène : on arrive, on monte au troisième étage, on ouvre une porte, on voit tout le A$AP Mob avec A$AP Rocky, assis autour d’une table, et on fume tous ensemble pendant une heure. Je n’ai pas dit un mot, j’étais trop impressionné, c’était fou. Cet épisode-là a changé ma mentalité. Je me suis dit qu’il fallait que je sois comme eux, ouvert. Les années d’après, j’ai souvent capté Ant. En 2020, il m’a dit qu’il voulait être sur mon projet. J’étais choqué. Aujourd’hui, c’est organique entre nous. Il n’est même plus question d’argent. C’est l’un des gars les plus humbles et les plus gentils que j’ai pu rencontrer dans le rap.
Est-ce que le fait de travailler avec beaucoup d’artistes internationaux t’as fait remarquer des différences avec la France ?
Totalement. Je ne veux pas critiquer la mentalité française, mais il nous manque de l’ambition quand on compare aux américains. Même musicalement, j’ai toujours écouté beaucoup plus de rap américain que français. Il y a plus de personnalités fortes, ils s’inspirent d’autres gens mais surtout d’eux-mêmes. En France, il y a un grand problème d’identité selon moi. Si quelqu’un met du Louis Vuitton, tout le monde mettra du Louis Vuitton. En tout cas, l’industrie avec un grand « I » marche comme ça.
En France, la pure trap revient en force. Sur le projet, tu invites Tali, 2c, Dafliky et Gapman, qui en sont de bons représentants. Comment se sont faites ces connexions ?
J’ai connecté avec Dafliky en 2021, en tombant sur lui par hasard sur Internet. Je le trouvais déjà très fort. Puis, j’ai découvert toute cette scène que j’ai vu comme un renouveau. J’aime inviter sur chaque projet les rappeurs français que j’écoute à ce moment-là. Je ne veux surtout pas gatekeep pour des questions d’ego. Si j’aime ce que tu fais, alors je veux bosser avec toi et te mettre en avant. Je suis un amoureux du son, on s’en fout de qui est plus connu que qui. Ces gars sont frais, super intelligents, ils ont la bonne mentalité, ils sont ouverts, ils ont déjà toute une équipe de graphistes, de clippers, de monteurs derrière eux, etc. Leur évolution est méritée, ça tue.
Tu parles beaucoup de ta passion pour le rap. Comment expliques-tu qu’elle soit si dévorante ?
Elle vient de mon père [Akhenaton de IAM, NDLR], j’ai grandi avec ça. Il m’a récemment dit que je lui cassais les bonbons très jeune avec « I'm A Hustla » de Cassidy [rires] ! Toute ma vie, je n’ai écouté que ça. Sur le reste, j’étais un hater. Je me rappelle qu’en primaire, j’étais vraiment dégoûté par la tecktonik alors que tout le monde était à fond dans ça. Heureusement, aujourd’hui, j’écoute d’autres musiques. Je suis beaucoup plus ouvert.
Au-delà de la musique, tu t’intéresses énormément à l’univers du rap, à sa culture, et à tout ce que ça englobe.
Oui, j’essaye de comprendre, de me documenter. J’aime vraiment profondément ça, même si c’est la chose qui m’a parfois fait le plus mal dans ma vie. C’est un amour toxique. Je dig moins avec l’âge, mais j’essaye toujours de me tenir au courant. C’est trop facile de dire qu’aujourd’hui le rap est moins intéressant alors que tu pourras toujours trouver de nouveaux artistes qui renouvellent les choses. Je ne veux pas tomber dans ça.
Il y a quatre ans, ton père disait dans une interview que tu refusais qu’il écoute ta musique. Les choses ont changé ?
S'il veut écouter, il écoute. Ce n’est même pas parce que je veux cacher ce que je fais, c’est vraiment en terme de niveau. Mon père, c’est une légende du rap français. Il m’a dit plusieurs fois qu’il était fier de moi, que beaucoup de gens lui avaient dit que ça tuait ce que je fais, mais pour moi il faut atteindre un certain niveau avant de lui montrer. Si on parle de musique ensemble, je parle rarement de la mienne. Les gens croient qu’il est old school, mais lui aussi n’écoute que du rap américain, et lui aussi adore écouter de nouveaux artistes. Il faisait tourner du Conway The Machine ou du Westside Gunn à la maison avant même qu’ils percent dans leur pays !
La presse people fait des articles sur toi où ils te dépeignent comme le fils d’Akhenaton qui aurait une vie « sulfureuse ». C’est rare en France, peut-être unique, que l’on parle d’un jeune rappeur dans ce genre de médias destinés à une toute autre audience que la nôtre. Tu as vu ces papiers ?
Oui, je les ai vus, même si j’essaye de ne pas trop avoir un œil dessus. Je ne correspond pas du tout à ce qu’ils extrapolent. Je n’ai jamais tout montré sur les réseaux sociaux et je ne fais rien de mal. J’en parlais avec ma femme, les gens me voient parfois comme si j’étais fou, alors que pas du tout. J’essaye d’être gentil, de bien m’exprimer, d’être moi-même. J’aime tirer avec des armes à Miami mais je le fais évidemment dans un cadre légal.
Ils mettent d’ailleurs sur le même plan tes grillz, tes tatouages et les armes.
C’est une dinguerie. Je ne sais pas si c’est de la discrimination ou du racisme, mais c’est à la limite. Si je porte un grillz ou si je tire légalement, je suis forcément un shooter, c’est trop. On voit souvent ce genre de choses avec Jul ou même Aya Nakamura récemment. Le grand public est perdu et ça me peine de le dire. La France n’a pas la culture rap, alors que c’est la musique la plus populaire. Le public est là, mais l’institution française ne l’acceptera jamais vraiment. Malheureusement, il faut le comprendre. Le pays n’est pas prêt à endosser cette image. L’État n’en a rien à faire, il faut arrêter de faire semblant, c’est seulement pour enrôler des jeunes. Où sont les aides, les financements ? Il n’y a rien, on est payé une misère.
Les auditeurs de ce second âge d’or du rap français prennent de plus en plus de place dans l’industrie. Tu penses que ce mépris insidieux du grand public pour cette culture est voué à changer ?
Oui, il faut garder espoir. C’est une question de volonté. Ça passe par des événements culturels, la mise en avant d’artistes comme Aya Nakamura à la télévision pour que les gens puissent se décomplexer, etc. Le problème n’est pas dans le monde de la musique, il est avant tout politique. Il faut éduquer le public. Quand on voit les statistiques sur le nombre de jeunes prêts à voter pour le RN, c’est terrifiant. Il faut que les artistes mainstream fassent évoluer les choses, c’est aussi leur responsabilité. On ne peut pas se permettre de régresser. Moi, je suis cru dans ce que je dis, mais certains ne le sont pas pour garder une bonne image et se ramener un public.
Un mot de la fin ?
Toujours garder espoir, aller de l’avant, se focus sur le positif. Dans la vie, il y a 10 000 façons d’être malheureux, mais il y en a autant d’être heureux.