Zoomy : « Je veux être le plus gros rappeur français de l’Histoire »
Éternel avant-gardiste, parfois incompris, Zoomy a su conquérir le cœur du public underground au fil de projets éclectiques concoctés avec l’écurie nava. Pour la première fois, le rappeur du 19ème arrondissement de Paris livre un long projet pensé en solitaire, en hommage au quartier de son enfance : DIRTY SPRITE 19®. Une heure avant la sortie de la mixtape, Mosaïque a rencontré Zoomy pour un entretien en toute intimité.
DIRTY SPRITE 19® sort dans quelques minutes, comment vas-tu ?
Je suis plus stressé que d’habitude parce que c’est le projet où je me suis le moins pris la tête depuis un moment. J’ai peur de comment les gens vont se le prendre, de ce qu’ils vont en penser à la première écoute. L’essence de ma musique, c’est la trap. J’ai préféré apporter à ce genre qui existe déjà plutôt que de créer quelque chose de nouveau. Je chante moins, il y a moins de toplines, et je redoute que les gens soient désorientés.
Pourquoi ce projet est-il si particulier pour toi ?
Ça fait un moment que je n’ai pas sorti un projet solo. Gate, par exemple, a vraiment été réfléchi à deux. La vision de Vilhelm et la mienne. Sur DIRTY SPRITE 19®, c’est moi et mon cerveau. C’est ce que j’aime à 100 %. J’ai beaucoup moins réfléchi, à part le tracklisting. J’avais fait beaucoup de morceaux, environ 70 ou 75 en peu de temps. J’avais l’embarras du choix, et sortir 19 tracks m’a paru d’abord trop concis. J’ai vraiment galéré pour avoir la tracklist la plus aboutie possible. Je voulais qu’il y ait une cohérence, qu’on ne s’ennuie pas, qu’à la réécoute le projet sonne comme un vrai projet. Je suis quelqu’un qui se prend la tête sur sa musique et je voulais que ça se sente.
Qu’est-ce que tu retiens de cette expérience de travailler en solo ?
Que je préfère ne pas bosser seul. Vilhelm a quand même été là du début à la fin, il a mixé tous les morceaux sauf un et a produit beaucoup de tracks. On travaille en équipe chez nava, on est toujours tous ensemble. Mais j’ai enregistré la plupart des morceaux chez moi, puis j’envoyais les pistes au mix. Ça m’a permis de découvrir de nouvelles facettes de ma musique, jusqu’à un certain plafond de verre.
Le projet a pris un peu de retard, ton public l’a beaucoup attendu. C’était du perfectionnisme ?
C’est vraiment ça. J’ai commencé DIRTY SPRITE 19® un mois après Gate, vers septembre 2023. Et j’avais l’impression qu’il était déjà fini au mois de décembre parce que j’avais fait énormément de morceaux. J’aurais aimé l’envoyer plus tôt, mais j’ai été très pointilleux sur le mix. À la base, je le concevais comme une mixtape où je n’emmenais pas forcément les gens dans un univers très précis. Mais comme c’est moi, je voulais pousser tous les morceaux au maximum de leur potentiel. C’est la première fois qu’on a dû faire des V9 ou même V10 de mix. Je voulais que ça sonne comme ce que j’aime, comme la musique que j’écoute tous les jours. J’ai voulu faire plaisir aux gens qui m’écoutent mais aussi à ceux qui ont grandi comme moi.
Toute la communication du projet était axée sur le chiffre 19, pourquoi ?
J’ai grandi dans le 19ème à Paris ! J’aime cet arrondissement pour son ambiance, ce qu’on m’a fait comprendre, ce que j’ai vu... Je suis fils unique et, là-bas, j’ai appris à partager ce que j’avais alors que je n’avais personne avec qui le faire à la base. On m’a appris l’esprit de famille, on était tous les uns avec les autres. Même musicalement, on était très branchés rap. Dans mon quartier, il y avait Dawala du Wati-B. Un jour, il a ramené la Sexion d’Assaut pour la fête du quartier, au gymnase. Le 19, c’est devenu un chiffre qui me représente. Le projet s’appelle 19® aussi parce que c’est un alias que j’ai utilisé sur Soundcloud. C’est quelque chose que je veux représenter, au même titre que le fait que je sois congolais. C’est mon identité.
À la production du projet on retrouve Vilhelm, abel31 ou encore Tony Seng, tous de l’écurie nava. Tu tenais à faire ça en famille ?
Je voulais m’ouvrir plus, mais j’ai toujours l’impression que j’ai déjà tout ce qu’il me faut autour de moi [rires]. Il y a Nannaa sur le projet que je trouve très chaud, je voulais pousser son son. Il y a amne aussi avec qui je voulais faire un morceau qui soit un peu dans la continuité de « un, dos, tres », puis, finalement, on a fait tout autre chose. Je kiffe trop. Mais j’écoute toutes les prods qu’on m’envoie par mail, et, très souvent, j’envoie des feedbacks aux gens. Par exemple, 5bobble, un boug qui m’envoyait des mails depuis peut-être un an, a fini sur le projet avec le morceau « Parapluie », un de mes préférés. Je ne veux pas me contenter de ce que j’ai, tout le monde peut apporter quelque chose à ma musique.
Tu es celui qui a l’ADN le plus rap de nava. Tu partages quand même les mêmes influences électro et techno que les autres membres ?
Du tout. Un peu plus depuis qu’on fait des soirées, mais sinon vraiment pas. Je ne suis pas dans ça.
Pourtant, dans tes productions, on sent cette patte électro que peuvent avoir Vilhelm, abel31 ou Tony Seng par exemple.
J’ai toujours aimé les sonorités plus électroniques dans le rap, mais il faut que ça reste rap. Ils le savent. Quand on fait des soirées, je les soutiens parce que c’est mes reufs, mais ça ne me parle pas. Moi, j’ai vraiment la « culture du hit ». J’appelle ça comme ça. Si un morceau met tout le monde d’accord, que ça soit rap, rock, électro, pop… il me mettra d’accord aussi.
Donc on peut imaginer Zoomy sur de la pop un jour ?
Peut-être un jour. J’ai l’impression que, dans ma musique, il y a beaucoup d’influences pop jusqu’à aujourd’hui. Quand je prends mes voix aiguës, par exemple. Je suis congolais, chez nous on a un sens de la mélodie. Je ne sais pas si c’est héréditaire, mais inconsciemment j’ai cette culture de la musique efficace qu’on a envie de chanter et de partager.
Et justement, tu vas souvent chercher la topline à laquelle on ne s’attend pas.
La base de ma musique, c’est qu’elle me plaise à moi-même. Je suis mon premier fan. J’essaye toujours de me choquer, et je veux pouvoir écouter mes morceaux en boucle avant d’aller dormir. Si j’ai l’impression d’avoir déjà fait un flow, je vais être défaitiste à la fin de la journée.
On sent que tu as voulu repousser tes limites en termes de rap pur sur ce projet, notamment sur le morceau « CLOSE CONTACT ».
J’avais vraiment envie de rapper. C’est lié au fait qu’en ce moment je traîne beaucoup avec wasting shit, winnterzuko ou H JeuneCrack qui sont de gros rappeurs. On a fait une vingtaine ou une trentaine de morceaux ensemble qui ne sortiront sûrement d’ailleurs jamais. Il fallait que je me mette au niveau et que je comprenne ce que ça représente de « rapper ». Jusqu’ici, j’axais plus sur les mélodies et le texte était là juste pour accompagner. Maintenant, il me faut de la bonne punchline pour agrémenter.
Les productions sur lesquelles tu poses sont toujours très denses. Qu’est-ce que tu recherches particulièrement dans une prod ?
Le truc efficace, à l’instinct. Il faut que la prod me choque pour que je puisse me dire qu’elle choquera les gens ensuite. Je peux être très exigeant, je sais que je suis chiant là-dessus. Je vais donner un petit tips : il faut juste se dire que ta voix est un instrument. Si tu te dis ça, tu sauras comment superposer tes voix, ou inversement si la prod est déjà très chargée.
Dans le projet, tu feat avec Kay The Prodigy. Pourquoi as-tu eu envie de l’inviter ?
Jusqu’ici, je n’ai fait des sons qu’avec mes potes. Avec Kay, on se connaît d’avant la musique et on avait déjà fait quelques morceaux ensemble, c’est ma go sûre. Je voulais un no feat, mais elle est juste trop forte. Elle s’en bat les couilles, elle est sans complexe. Quand elle a commencé à rapper en français, c’était la première fois de ma vie que je voyais une meuf au niveau des mecs. Elle n’essaye même pas de prouver, elle est juste comme ça. Avant même que ça prenne, quand elle m’a montré le clip de « Prestige », je me suis dit que c’était une dinguerie. Je n’avais jamais ressenti ça.
Tu as évoqué de nombreuses fois sur les réseaux sociaux le fait que le grand public ne parle pas assez de toi. Tu as envie de devenir mainstream ?
Fort. Je le dis, je veux être le plus gros rappeur français de l’Histoire. Je charbonne tous les jours pour faire la meilleure musique possible, que les gens disent n’avoir jamais entendu ça ailleurs. Parfois, j’ai l’impression qu’on va me le faire ressentir, mais jamais me le dire.
Tu serais gatekeep par tes auditeurs ?
C’est exactement ça. Quand c’est pour faire des tweets comme quoi je suis chaud pour que je prenne de l’ampleur, les gens ne le font pas. Un concert se remplira, les sons sont streamés, mais j’ai le sentiment que personne n’est au courant. Des artistes streament moins que moi mais sont plus mis en avant par leur fanbase. J’ai trop l’impression d’être un rappeur pour les rappeurs, ou même un rappeur pour les beatmakers. J’en suis heureux, c’est ce que je voulais, mais parfois c’est trop réducteur. On me met dans une boîte alors que je veux être big.
Tu as une idée de pourquoi les gens feraient ça ?
J’ai ma théorie : ceux qui m’écoutent ma musique sont exactement comme moi . Les artistes que j’aimais, je les gardais dans la poche, je ne voulais pas qu’ils deviennent mainstream. Je ne peux pas leur en vouloir, mais en vrai je leur en veux de baisé [rires] !
Dans « MOST WANTED part.2 » tu dis : « Téma le lifestyle, maintenant je suis payé juste pour être Zoomy. » Ce Zoomy qui est juste lui-même, c’est le personnage ou est-ce que c’est vraiment toi ?
C’est moi ! Ça vient d’un moment où j’ai déréalisé. Je me disais que j’arrivais à être juste moi, à faire la musique que j’aime, et à être payé pour être cette personne. C’est fou. Quand je me lève le matin, je peux jouer à la Play et ensuite faire des t-shirts de ouf. Le lendemain, je vais au studio et je vais faire des sons de ouf. Grâce aux gens et aux émotions que je partage. J’ai la chance de pouvoir vivre en étant juste moi.
Un mot de la fin ?
Je n’ai pas envie d’être corny, mais vivez pour être vous. Croyez-en vous plus que les autres, vivez pour ce qui vous rend heureux. Ne laissez personne empêcher ça.