Critique : La Fève - « 24 »

Un mois après avoir inauguré l'Adidas Arena, retour sur 24 de La Fève, sorti le 22 décembre 2023. Pur produit d'Atlanta, le disque est l'aboutissement d'une montée en puissance inarrêtable du jeune Fontenaysien. Un projet à la hauteur ? La critique de Cédric Rossi.

 
 

Entre l’air vicié des trap houses d’Atlanta et les verres rutilants de sirop violâtre, un certain Gucci Mane déclarait dans sa biographie : « If you keep lookin’ back, you gon’ trip going forward . » Mais à 7 000 km de ces blocs pourpres, dans une cité du nom de Fontenay-Sous-Bois, un jeune doué avec les poches trouées rêve aussi de poser ses yeux vers l’avant. Telle une passation sur les cuivres triomphants de « ZAY INTRO », avec le même ton rauque et lymphatique que son prédécesseur grassouillet, La Fève scande fièrement : « Quatre ans d’carrière, j’guette pas derrière, j’fonce tout droit, je m’arrête jamais. » Sur cette intro samplée de l’outro « Long Money » par Zaytoven et Gucci, 24 résonne définitivement comme la suite de Mr.Zone 6. Comme si le balbutiement écœurant d’un « BURR ! » était devenu le triomphe d’un « ERRR » qui a dépassé ses limites. 

 

Crédit : @walonestuff, @ben_dorado et @pablojomaron

 

Bercé entre les flots wavy du pimp rap de Max B et les vagues percutantes du Jeune Dauphin à qui il rend hommage sur « RIP DOLPH  » avec Zequin, le jeune espion vient éclabousser les vestiges de quinze ans de culture du hustle en 20 titres éclectiques. Depuis les pianos luxueux aux allures de Maybach Music  (comme Rozay !) jusqu’aux trap jugg beats de 2006 les plus régressifs, en passant par de la glo Chief Keefienne surmixée, 24 a tout du mélange entre la mixtape crade hostée par les beuglements de DJ Drama et le top billboard le plus surproduit de Rick Ross. Un héritage trap assumé dont l’album vient épouser les fondations jusque dans son propre nom, étant surtout un clin d’œil au morceau « 24’s » de T.I. Mais si Trap Muzik sonnait comme l’album de la confirmation pour le Rubber Band Man, ce projet semble davantage celui de la rupture pour La Fève. Une prise en maturité et un détachement de toute une scène qu’il avait lui-même enfantée. « On s’est mal compris », répond-il sur « OUTRO ». 

 
 

Dans un battement d’ailes impulsé par les accords de piano angéliques de Tarik Azzouz, Lyele et Kosei, l’auteur de KOLAF prend son envol. Car si Zaytoven a réussi à transformer Future en chanteur de blues sur le légendaire Beast Mode, Kosei a métamorphosé son cafard préféré en un crooner déchu qui se livre dans un jet d’âme insaisissable sur une sorte d’« Accepting My Flaws » partie 2 avec « MA CHIENNE DE TRAPLIFE ». Des violons et des éclats de voix écorchés qui font l’effet de coups de poignard dans un morceau qui cristallise l’essence même du street banger mélancolique à la Future.

Parce que finalement, même accompagné des plus grands, confortable entre les lampées de spiritueux hors de prix et des voitures de luxe, une tare indéniable le suit depuis le début de sa carrière : une nostalgie déchirante. Inconsolable, avec une voix presque chevrotante, La Fève revient aux bases : la Walone, sa mère, ses amis. À se demander si la solution à une mélancolie lancinante n’était pas justement de jeter un œil au passé. Pour que les accords de piano cycliques de « SAMESHIT » deviennent la mélodie de tous les regards en arrière et pour constater qu’en fin de compte « tous les chemins mènent à Fontenay-Sous-Bois »

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