Dany Dan & Kyo Itachi : « On voulait un album moderne avec les bases du vrai hip-hop »
Pour la sortie de leur album commun « Pièces montées » le 9 février, nous avons rencontré Dany Dan, membre des Sages Poètes de la rue, figure historique de l’école de Boulogne et le producteur Kyo Itachi, habitué des collaborations outre-Atlantique. Les deux artistes nous racontent leur rencontre, la conception de ce disque collaboratif, en passant par leur vision de la scène rap française actuelle.
Dany Dan, Kyo Itachi, comment s’est faite votre première rencontre ?
Kyo Itachi : C’est moi qui l’ai contacté sur les réseaux fin 2021. Très cordialement, il m’a répondu qu’il était occupé par les featurings qu’il avait à honorer. Plus tard, après avoir discuté avec un ami qui me demandait pourquoi ne pas inviter Dany Dan sur mon album [Solide, sorti en avril 2022, NDLR], je l’ai recontacté.
Dany Dan : Quand il m’appelle, je connais déjà son nom. J’avais appris peu avant qu’il était Français. J’étais persuadé qu’il venait des États-Unis puisque je l’avais vu collaborer avec de très bons Américains : Conway The Machine, Benny The Butcher… Je me suis dit : « Allons-y, faisons un son ! » Il m’a envoyé un beat, j’ai écrit, et on a fini par enregistrer. Entre temps, j’ai écouté ce qu’il faisait, et comme j’avais besoin d'instrus, il m’en a envoyé beaucoup.
Kyo Itachi : Dany Dan, c’est un grand monsieur. On m’aurait dit ça il y a cinq ans, je n’y aurais pas cru. Je trouvais ça magique qu’il aime bien ma musique. J’étais chez moi, je regardais mon téléphone en me disant : « Dany Dan me parle là ! » Tout de suite, je lui ai proposé qu’on fasse un album commun, un peu comme Nas et Hit-Boy. Fidèle à lui-même, Dany Dan m’a fait un peu patienter. En même temps, j’étais trop chaud, je le brusquais un peu [rires]. On s’est mis d’accord pour le faire et l’annoncer quelques jours avant notre passage dans Rap Jeu [sorti le 24 juin 2022, avec Théodort et Mehdi Maïzi, NDLR].
Quelle a été votre méthode de travail pour concevoir l’album ?
Dany Dan : Au départ, il m’envoyait des prods sur lesquelles il me voyait poser. Au fur et à mesure, il m’a soumis d’autres styles. Très vite, je me suis retrouvé avec 200 beats parce que Kyo travaille énormément. Je n’avais plus qu’à choisir.
Kyo Itachi : Tout au long des deux années qui ont été nécessaires pour concevoir l’album, j’avais plein d’idées avec des vibes toujours différentes, je lui envoyais en ajoutant : « Check ta boîte mail, j’ai une idée de fou ! » J’attendais ses retours pour ensuite faire les miens. Les morceaux se sont formés comme ça.
Dany Dan : Comme c’est la première fois qu’on bossait ensemble, chacun a appris de l’autre. Je lui demandais : « Quel genre de beat te représente ? Où est-ce que tu aimerais que j’aille ? » Ça a pris un certain temps, même si on ne voulait pas faire trop attendre les gens comme le projet était annoncé. J’espère que ça va plaire, mais là, on ne fait que se mouiller les pieds, ça ne fait que commencer…
Le projet a été entièrement fait à distance ?
Dany Dan : Oui, et c’était la première fois que je travaillais comme ça. La technologie nous permet désormais de le faire sans problème. Certains préfèrent écrire en studio, moi je préfère être tranquille chez moi pour inventer.
Kyo Itachi : Je trouve que c’est mieux. J’ai déjà vu des rappeurs arriver dans des états pas possible au studio, j’ai toujours préféré être à distance. Tu peux écrire sur place, mais ce ne sera pas aussi abouti que si tu prends du recul. C’est mieux de prendre son temps.
Ça ne freine pas la spontanéité d’un texte ?
Dany Dan : Au contraire ! S’il me vient une idée chez moi, je vais la noter à n’importe quel moment. Alors qu’en studio, tu peux être dans l’urgence. C’est une affaire de ressenti. C’est comme le fait que, maintenant, beaucoup écrivent sur leur iPhone. Moi, je préfère mon bon vieux papier-stylo.
Quand on fait du rap et des instrus depuis autant de temps, comment est-ce qu’on conçoit la création d’un nouvel album en 2024 ?
Kyo Itachi : On a eu beaucoup de discussions autour de ce qu’on voulait transmettre avec cet album. On voulait qu’il soit moderne dans la forme, avec les bases du vrai hip-hop, du rap. On essaye d’être moderne dans les samples, dans la vision… Il ne fallait juste pas faire ce que j’avais déjà fait, ou ce que Dany avait déjà fait. Du coup, on se creusait la tête tout le temps.
Dany Dan : C’est en même temps très simple et très compliqué. Tout d’abord, il faut essayer quelque chose que tu n’as jamais fait. Et c’est difficile parce que ta voix ne changera jamais et que tu as des automatismes dans ta façon d’écrire. Il faut tenter de briser ça et être capable de s’avouer que certains sujets reviennent en permanence dans tes textes pour trouver de nouvelles manières de les aborder.
Kyo Itachi : Pour ma part, c’est un peu de folie. Je peux dormir, penser à un truc, me réveiller et le faire tout de suite. Je fonctionne beaucoup avec des visions, c’est comme un puzzle dans ma tête.
Ce projet arrive presque 20 ans après l’album commun Dany Dan & Ol Kainry. Vous êtes attachés à ce format ?
Kyo Itachi : J’en ai toujours fait, mais il fallait que j’en ai un en France. Même si j’ai une reconnaissance à l'international, je suis Français. J’avais déjà fait un maxi avec Alpha Wann [Mon job, un projet de deux titres, sorti en 2012, NDLR], même s’il n’était pas encore le rappeur qu’il est aujourd’hui. J’ai aussi fait un projet avec Lucio Bukowski [Kiai Sous La Pluie Noire, sorti en 2015, NDLR] qui a été populaire dans sa ville, à Lyon. Mais ils n’étaient pas des poids lourds comme Dany Dan. Là, j’ai quelqu’un qui sait rapper de ouf et y’a moyen de faire un grand truc, parce qu'on a une vraie complicité. C’est assez spécial à décrire ; Dany Dan c’est l’un des premiers qui me met dans le rap français quand mes cousines me font découvrir « Amoureux d’une énigme » [morceau des Sages Poètes de la rue, groupe formé par Dany Dan, Zoxea et Melopheelo, sorti en 1995, NDLR].
Dany Dan : Je viens d’un groupe où on était trois, et d’un posse où on était 25 [un groupe de rappeurs, ici le collectif Beat de Boul, NDLR]. J’en ai fait beaucoup des collaborations… Là, c’était spécial, on travaillait au fur et à mesure qu’on apprenait à se connaître. J’ai adoré. Le projet commun, c’est comme prendre le nectar du fruit de la rencontre entre deux artistes. On a fait un projet avec une vraie ossature. J’espère que les gens vont remarquer la continuité en écoutant l’album. J’insiste pour qu’ils l’écoutent en entier, y’a de la pépite là-dedans.
Sur l’album, il y a trois featurings, dont Freeze Corleone. Comment s’est faite la connexion ?
Dany Dan : On s’est fait une petite liste des personnes qu’on aimerait bien inviter, il en faisait partie. On aime tous les deux beaucoup Freeze, et je savais qu’il appréciait ce que je faisais. Ça n’a pas tardé pour qu’il dise oui à une collaboration et ça s’est super bien passé.
Alonzo est invité sur un terrain un peu différent. Comment avez-vous conçu le morceau ?
Dany Dan : Kyo Itachi avait proposé plusieurs sons dans cette direction, et je savais qu’il fallait en faire une chanson. J’avais les lyrics mais il manquait quelque chose pour porter le son. Alonzo faisait partie de la liste, je voulais juste lui proposer le refrain, mais il était chaud pour rapper. Et il sait rapper !
Izaya faisait aussi partie de la liste ?
Dany Dan : On va dire que oui et non. On l’a connu pendant qu’on faisait l’album. On a écouté ce qu’il faisait, on a tenté la collaboration, et puis c’est sorti de manière assez magique. Il y a beaucoup de choses qui se sont faites comme ça, de manière très fluide.
Qui d’autres est sur cette liste ?
Dany Dan : Il y avait beaucoup de noms [rires]. Si je commence à en dire, je vais en oublier.
Alpha Wann est une collaboration qui semble évidente, peut-être que ça viendra ?
Dany Dan : Tu l’as dit !
Parlez-nous de cette pochette !
Dany Dan : D’abord, il y a l’idée très simple des GOAT [Greatest of all time, NDLR], avec les deux boucs. Par rapport au jeu d'échecs, chacun a sa façon de voir les choses. Pour moi, elle représente le fait qu’on joue ensemble, mais que la collaboration est aussi un match. Kyo apporte son meilleur son, j’apporte mes meilleurs lyrics.
Kyo Itachi : L’interprétation, c’est aussi quelque chose qu’on souhaite laisser aux gens pour qu’ils puissent se creuser la tête. En tout cas, le shooting, c’est l’un des meilleurs jours de ma vie d’artiste. Il ne se concentrait pas que sur Dany, il revenait systématiquement vers moi. Travailler avec le photographe qui a collaboré avec tout le rap français [Fifou, NDLR], c’est quelque chose.
Dany Dan : J’avais déjà bossé avec lui, mais là c’était encore mieux. Il n’y avait pas d’artifices, c’est vraiment deux chèvres à côté de nous. On nous disait : « Attendez, qu’elles tournent la tête et on y va ! » Quand on voit le résultat, ça déchire, il mérite bien sa réputation.
Il y a des rappeurs et des rappeuses que vous suivez en France en ce moment ?
Dany Dan : Je pense directement à Freeze. Sinon, en général, j’écoute plus de rap américain depuis mes débuts. J’essaye de me tenir au courant mais je suis toujours dans mes bons vieux lyricistes. Par contre, j’aime beaucoup l’énergie que dégage la scène actuelle. Je suis vraiment fier. Jamais je n’aurais imaginé voir plus de rap français que de rap américain tourner dans les voitures, c’est fantastique.
Kyo Itachi : J’aime bien Yvnnis qui a fait « GARE DU NORD » , H JeuneCrack, NeS, Zeu… C’est pas forcément ce que j’écoute, mais comme je suis producteur, j’ai toujours la curiosité de regarder ce qu’il se passe. J’arrive à entendre ce qui peut être bon, ou ce qui est inquiétant et super mauvais.
Qu’est ce qu’il y a d’inquiétant ?
Kyo Itachi : Ce n’est pas pour critiquer, mais à l’époque dorée du rap français, la plupart des rappeurs avaient la vingtaine et leurs textes étaient délirants. Rien qu’Oxmo Puccino avec « L’enfant seul », par exemple. L'écriture, c’est important. Aujourd’hui, un rappeur peut faire rimer « Ferrero », et « Ferrara », et être persuadé que c’est lourd parce que c’est ce que son entourage lui dit. J’arrive quand même à trouver des gars qui travaillent parfois plus leur flow ou leurs placements. Il m’arrive aussi de ne pas comprendre et de capter à la réécoute.
Dany Dan : C’est l’époque qui veut ça. Quand j’ai commencé, on passait de Public Enemy pour glisser sur des propositions plus bling-bling. Les rappeurs conscients de l’époque devaient trouver ça bizarre. Ce sont les canons qui changent. Aujourd’hui, c’est plus une affaire d’énergie et il existe un rap franco-français qui raconte nos réalités. C’est mortel, il faut continuer !
Retrouvez Dany Dan et Kyo Itachi en concert à La Place, à Paris, le 9 mars.