Baby Neelou : « Ma vie a été boostée quand j’ai croisé des marginaux »

Venu tout droit de Biarritz, Baby Neelou a fait sensation chez les oreilles avisées avec le très bon Bromance, son premier projet sorti début 2023 et dédié à la SBNFL, Still Broke Not For Long, sa clique de toujours. Désormais affirmé comme l’un·e des rookies les plus grisants du jeu, il revient en force sur Le Chemin du Coeur, douze titres plus nuancés que le reste de sa discographie. Rencontre avec un jeune hustler en pleine introspection. 

 

Le Chemin du Cœur est sorti. Comment vas-tu ?

Ça va bien. Je ne suis pas trop stressé, j’ai juste envie que les gens l'écoutent et l'apprécient, ça fait longtemps que je retiens le projet. J’attendais d’être bien entouré et on m’a beaucoup approché après Bromance, que ce soit des tourneurs, des labels… Je ne m’attendais pas à ce que tant de gens l’écoutent et je n’avais pas la suite en tête. Il fallait faire les choses bien. 

 

Qu’est-ce qu’il a de particulier ce second projet ?

C’est surtout au niveau de la maturité que ça change. Bromance, c’était avant tout du fun. Il n’était pas spécialement destiné à plus que mon entourage. Pour Le Chemin du Cœur, j’ai eu envie de m’ouvrir, de parler de ce que je ressens, et voir ce que ça donne. Ce n’était pas une volonté que j’avais en démarrant le projet, mais en revenant au studio après un long moment sans faire de musique, je me suis rendu compte que mon discours avait changé. Je me suis servi de ça pour faire quelque chose de neuf. J’ai dû faire 50 ou 60 morceaux, mais le fil rouge des 12 titres qui sont dans le projet s’est construit autour de ça.

 

© LONNYPRODUCTION

 

Ce qui est marquant chez toi, c’est ton grain de voix. Il est très posé, très grave, très nonchalant. C’est presque de l’ASMR ! D’où vient-elle ?


C’est venu assez naturellement. Je n’avais pas un caractère à hausser le ton et j’ai souvent trouvé le rap français trop agressif dans la voix. Je me suis dit qu’il fallait trouver une manière de m’exprimer calmement pour que je puisse être écouté par un large public. Si une maman m’écoute, ça ne paraît pas trop brutal, si un jeune m’écoute, ça paraît cool. Ensuite, on a bossé le grain de voix au mix avec mon ingé Scred Berry. Je voulais que ma voix sorte comme je l’entends dans la vraie vie. Le seul problème, c’est que c’est assez compliqué à gérer en show parce que j’ai un timbre très posé, à la limite du chuchotement parfois. Il faut trouver une manière de donner de l’énergie tout en restant cohérent avec mes morceaux, c’est le challenge. 

 

Ce qui renforce l’efficacité de ta voix, ce sont aussi tes flows. Il y a un groove qui s’en dégage.


C’est un mystère pour moi. Je ne me suis pas buté au rap comme d’autres et je n’ai pas connaissance de tous les flows existants. C’est peut-être ma logique, c’est comme des mathématiques. Je suis extrêmement à cheval sur comment mes phases commencent et finissent. Si ça parle aux gens, c’est cool. 

 

La cover de l’EP Le Chemin du Cœur.

 

Tu penses que ça vient aussi de ce que tes parents ont écouté ? 

Oui, mon père m’a mis des bonnes choses dans les oreilles. Il est afro-américain et il écoute beaucoup de musique noire. Du R’n’B, du jazz, de la soul, de la funk… J’ai baigné dans ça. Ensuite, j’ai énormément écouté de rap américain old school, puis de la trap. Je n’ai pas écouté de rap français avant 2019 par exemple. Mais j’ai fait mes devoirs, j’ai écouté tout ce qu’il fallait écouter, et j’ai été matrixé par des Hamza, des Damso, ou même Freeze Corleone un peu avant Projet Blue Beam. J’aimais beaucoup ses anglicismes. J’ai découvert petit à petit la technique à la française, les images à la française, l’esthétique française, même si j’écoute toujours beaucoup plus de cain-ri. 

 

On dirait que les américains ont cette folie que les français·e·s n’ont pas. 


Exactement, et c’est normal. Ils sont 300 millions de plus que nous, c’est leur culture. Ils ont de l’avance. Ils n’en ont rien à foutre de leur image et il y en a beaucoup qui se permettent de tester des choses. En France, c’est petit, tout le monde connaît un peu tout le monde, les regards se braquent et on te juge très vite. Ça ne laisse pas beaucoup d’espace à la créativité, même si certains s’en moquent et Dieu merci.

 

Tes parents ont l’air de vrai·e·s mélomanes, ils·elles écoutent ta musique ?


Ma mère apprécie voir son fils faire ses trucs correctement, gérer son business, et elle aime ce que je fais. Mon père aussi mais il n’est pas dans le rap. Il aurait préféré que je touche à plein d’instruments. Mais il accepte, et il reconnaît que c’est bien fait.

 

Tu as déjà essayé de lui faire découvrir la culture rap ?


Mon père est réticent à ça. Il a un passé dans la politique, là où il y a beaucoup de clichés sur le rap qui circulent et qui desservent beaucoup la cause noire. Il peut écouter des instrus de rap, mais les propos le dérangent. 

 

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Pour revenir sur ton groove et le côté playful music, c’est difficile d’imaginer un son de Neelou où l’on ne bouge pas la tête. Tu tiens à conserver cette sensation d’amusement ?


Oui, mais j’ai envie qu’on me prenne au sérieux. Je ne doute pas de mes capacités. Avec le temps, je pense devenir un meilleur MC et je veux que l’on mette du respect sur ça. Je veux rentrer dans ce game-là et ne pas juste devenir le mec qui rigole, qui a des bons flows mais qui n’apporte rien.

 

Dans le projet, on retrouve beaucoup de drums organiques, de samples jazzy et il y a encore une fois cette couleur très chaude dans les productions qui est devenue ta signature. À quel point tu t’investis dans ce processus ?


Je cocompose beaucoup, mais ça n’est jamais vraiment sorti, c’est marrant. Je suis très compliqué et je passe beaucoup de temps à diguer. Je peux m’enjailler très rapidement, mais pour passer deux heures à travailler sur une prod qui tourne en boucle, il faut être sûr qu’elle vaille le coup. 

 

Aujourd’hui, tu es qualifié de rookie, mais ce que tu as fait jusqu’ici montre que tu peux toucher un public plus large. Quel est ton objectif ?


L'objectif, c’est de réconcilier deux scènes. Je veux que les mordus de rap, les MC, m’écoutent, et ceux que l’on appelle la « new wave », ceux qui sont dans la DMV, le hors-temps, la superposition, m’écoutent aussi. C’est pour ça que j’ai ramené Caballero sur le projet, un gars de la génération d’avant. Réconcilier ces deux scènes, ça pourrait créer de la très bonne musique qui sera écoutée par beaucoup de monde.

 

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Dans « Hustler Season », tu dis : « Je suis loin d’être parfait, j’ai peur qu’on m'idéalise ». Rassembler ces deux mondes et toucher un large public, ça insinue une certaine notoriété. Ça te fait peur ?


Je trouve ça cool d’être reconnu et apprécié par un grand nombre. Mais je suis un mec très simple, j’ai grandi loin des grandes villes. Si un jour ça doit arriver, changer ma routine pour le regard des gens, c’est compliqué. Plus on me donne de love, plus je suis heureux, mais j’ai peur que ça crée des gens faux.

 

Grandir loin des grandes villes, ça pousse à une certaine simplicité ?


Oui, il y a une différence. Au début, j’avais du mal quand j’allais à Paris. Avec mes gars, on faisait ça simplement pour le kiff. Et en fait, les gens sont souvent là par intérêt, ça veut se manger. Il y a une espèce de course qui se fait, et on ne sait pas qui veut quoi. C’est un peu effrayant. Ça me fait du bien de pouvoir m’éloigner de ça, respirer… Quand tu restes tout le temps dans nos environnements très rap, parfois, tu n’es plus dans la vraie vie. Car même si les gens sont très ouverts, très bons, ça reste assez superficiel.

 

Tu parlais de Caballero, il est effectivement présent, et sur une prod de JeanJass. Comment s’est faite la connexion ?

J’ai croisé Caba en festival et je lui ai dit que j’aimais beaucoup sa musique. Il ne m’a pas vraiment reconnu. Quand je lui ai dit : « Baby Neelou », il était super surpris. Il m’a dit qu’il saignait ce que je faisais. Ça m’a fait plaisir parce que je le reconnais vraiment comme un des meilleurs techniciens du rap francophone. Quand je l’ai invité, il est venu tout seul poser son couplet alors que j’avais 20 potes au studio [rires]. Sa logique musicale est similaire à la mienne. Je vois comme il voit, ça me fait kiffer.

 

Le projet commence avec une messagerie et une voix d’homme qui s’adresse à toi en anglais. Qui te parle ?


C’est mon père. Parfois, il m’envoie des messages pour me dire d’aller écouter un pianiste ou un batteur par exemple. Il me demande mon avis et il me conseille de l’utiliser avec mes potes. Il m’envoie des samples en fait. Dans Bromance, on entendait déjà ma mamie. J’aime l’idée que ma famille parle, j’ai continué le truc.

 

Le Chemin du Cœur, comme à ton habitude, parle aussi beaucoup du SBNFL (Still Broke Not For Long), ta bande de potes. Des artistes mais pas que, à qui tu semble vouer une fidélité sans faille. Qu’est-ce qui vous rapproche tous ? 


J’ai toujours eu du mal à me trouver des potes fidèles. Je me sentais toujours différent car je suis de Biarritz, un milieu un peu bobo. C’est une ville de riches. Il n’y avait pas de gars qui avaient mes origines, mes ressentis sur la vie, mes goûts, etc. Ma vie a été boostée à la fin du collège et au début du lycée quand j’ai croisé les marginaux de cet endroit-là. On s’est tous retrouvés et on s’est poussés. En parlant, on s’est rendu compte qu’on était similaires. Je n’avais jamais traîné avec des gens qui donnaient autant de respect.

 

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Tu parles aussi beaucoup de la France. Un pays où la politique serait déjà inutile et où « on aime que les footeux et Omar Sy ». Qu’est-ce que tu veux dire par là ?


J’ai grandi avec beaucoup de gens qui ne me ressemblaient pas, et avec qui je me suis toujours bien entendu même si parfois c’était compliqué. Petit à petit, je me suis rendu compte qu’il y avait un manque d’honnêteté de ouf, que tu peux te sentir mis à l’écart. Tu le ressens que tu es différent. Comme avec la polémique autour d’Aya Nakamura, il y a quelque chose que les gens n’avouent pas. C’est du racisme. Ce n’est jamais quelque chose que j’ai vu très clairement, mais quand tu ouvres les yeux, tu te rends compte que c’est évident. Je pense que la France est un pays où les gens sont frustrés, ne sont pas toujours heureux, et veulent remettre ça sur quelque chose. 

 

Tu as tweeté récemment sur l’apparition de Kay The Prodigy aux Flammes, une rookie qui s’empare d’un espace extrêmement mainstream. Qu’est-ce que ça représente pour toi ?


Ça fait trop plaisir. J’ai l’impression qu’on a eu un peu le même break-out et au même moment l’an dernier. On se poussait de fou et je la connaissais avant qu’elle fasse de la musique. C’est une des premières personnes que j’ai croisé en allant sur Paris. On était en studio avec LV Naxi, Dafliky, EXOSLAYER et 2geeked qui ne faisait pas encore de musique non plus. Moi aussi, je commençais tout juste. Ça m’a impressionné qu’elle finisse là, ça me parle de fou. Je ne sais pas si la forme des Flammes est bonne, mais je respecte grave l’évènement. Il est organisé par des mecs comme nous. Voir Kay arriver à côté d’artistes comme Josman, Aya Nakamura, Shay… ça montre que c’est possible, même en peu de temps.

 

Un mot de la fin ?


Je remercie ceux qui plongent encore leur regard dans les magazines et les articles, ça fait plaisir. Et j’espère de fou faire la cover du magazine un jour !

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