Nouvelle École : qui est Clara Charlotte ?

Candidate à la troisième édition de Nouvelle École, Clara Charlotte s’est faite remarquer avec des prestations de chant et de rap pour convaincre SCH, Aya Nakamura et SDM. Mais qui est cette artiste venue tout droit d’Orléans ? Mosaïque l’avait rencontrée en juillet 2021, à l'occasion de la sortie de son premier EP « Venus ». ARCHIVE. 

 

[Publié le 19 juillet 2021]

Quand Clara Charlotte nous rejoint sur la terrasse d’un restaurant du 17e arrondissement de Paris, accompagnée de son manager, elle rayonne. Ces dernières semaines ont été décisives pour la jeune artiste. Si certaines premières propositions restent discrètes, Venus, son premier EP, n’est pas de celles-là. Remarqué à sa sortie, le six titres a éveillé la curiosité des plus grand.e.s : « Je n’attendais pas vraiment de retours. Mais finalement, j’ai eu des messages de gens à qui je n’aurais jamais pensé que ça plairait. » Elle énumère. « Amel Bent, Mehdi Maïzi… C’est surprenant, pour une petite personne comme moi, d’être prise dans ce filet sans s’en rendre compte. Ça fait peur aussi. J’ai envie de la garder cette peur parce que sans elle, on ne fait plus preuve de courage. »

La jeune orléanaise prend rapidement les rênes de la discussion. Ravie de pouvoir s’exprimer sur son art, elle n’hésite pas à s’épancher lors de ses réponses et à rebondir par elle-même. « Ce nouveau projet, c’est un bébé sur lequel je travaille depuis que j’ai 18 ans et qui a bien grandi. C’est frustrant de devoir montrer celle que j’étais il y a trois ans alors que j’ai 21 ans aujourd’hui. » Pourtant, même si le temps s’en est allé, l’authenticité de sa musique n’a pas pris une ride : « J’évolue et je me renouvelle sans cesse dans mon art mais ça reste le même tissu. »

 

© Basile Bertrand

 

Un tissu sur lequel elle a cousu de nombreuses influences bien distinctes. Le sixième et dernier morceau du projet en témoigne : « “Elle”, c’est un son que j’ai écris il y a deux ou trois ans. Il y a un côté très instrumental avec une guitare brute. C’est la Clara Charlotte soul qui écoutait plus jeune du Aretha Franklin. » Pour se constituer une ADN sur-mesure, la chanteuse a digéré ses influences : « Quand je suis arrivée à Paris, les gens ont commencé à me dire : “On dirait que t’écris des textes rappés mais que tu les chantes.” J’ai commencé à chanter du R’N’B soul sur des prods trap et à écrire façon rap des textes que je mettais sur du R’N’B. Ça marchait dans les deux sens, alors j’ai fusionné les deux. »

Clara Charlotte s’est ouverte à d’autres horizons pour se renouveler. Parfois sans succès, mais sans regrets : « Si je teste une nouvelle couleur et que ça ne me fait rien dans le ventre, c’est que ça ne me parle pas. J’ai testé la country R’N’B [rires] et ça ne l’a pas fait du tout. C’était pas moi. » Et pour opérer des virages artistiques contrôlés, elle s’est entourée de producteurs d’expérience comme le confirmé Junior Alaprod ou 99, beatmaker de référence sur la scène rap émergente, auteur de trois instrumentales sur « Venus ». Elle raconte : « Quand 99 m’a fait écouté des prods pop avec de la guitare, un peu à la Angèle, The Weeknd ou Jorja Smith, c’est la première fois que je me suis sentie capable d’aller faire ce délire là. Depuis, je continue de travailler avec lui et on fait toujours mieux qu’avant. »

 
 

De l’autre côté de la vitre du studio, loin des tables de mixage et des micros, Clara Charlotte s’est découverte moins concentrée, plus songeuse mais pas moins lucide. Pour elle, se livrer dans un texte comme sur son titre « Cassiopée » est naturel : « Quand je l’ai enregistré, j’ai pleuré. En écoutant le son et les paroles, je me suis rappelée que j’avais beaucoup souffert et avoir mal à ce moment là m’a fait du bien. » Pourtant, trouver un équilibre personnel au milieu de cette démarche artistique n’est pas aisé : « La complexité pour nous, les artistes, c’est qu’on doit écrire sur notre vie. Quand les gens vont taffer, ils sortent de leur vie. Le boulanger, quand il part taffer, il n’est plus avec sa femme, ses enfants… Alors que nous, on doit sans cesse se ressasser des souvenirs, des flashs, des disputes, des moments qui font du mal ou du bien. Et on sort rarement de ce carcan. On a pas le droit à cette part d’intimité cachée que tout le monde a. On dévoile tout au public. Je dois composer avec le fait d’être une jeune femme noire de 21 ans avec des problèmes, compartimenter ma vie, en dire assez sans tout dévoiler au public et essayer de rester stable. »

 
 

Pour Clara Charlotte, « compartimenter » rime avec « se protéger ». Comment garder un masque pour que le public ne saisisse pas toutes ses faiblesses, tout en restant assez transparente pour faire vibrer ses auditeurs ? C’est tout le paradoxe qui secoue la chanteuse. Elle enfonce le clou : « Ce masque, nous l’avons tous. L’humain est incapable d’être bon entièrement. Il y a forcément un moment dans une vie où ton côté bon devient mauvais pour l’autre. »

En avalant une gorgée de Perrier, elle réfléchit et reprend : « Vous connaissez l’histoire du scorpion et de la grenouille ? Nous hochons la tête de droite à gauche. En voulant traverser une rivière, une grenouille se fait arrêter par un scorpion. Le scorpion lui dit : “Écoute, prend moi sur ton dos, promis je ne te pique pas.” Elle le prévient : “Mais si, tu vas me piquer !” Il lui répond : “Si tu me fais traverser, je te jure que non.” Elle hésite puis s’exécute pour lui venir en aide. Soudain, une douleur foudroyante lui traverse le dos. Le scorpion l’a piqué. Elle lui dit : “Mais pourquoi tu m’as piqué ? On va mourir tous les deux.” Il lui répond : “Bah, je suis un scorpion. C’est dans ma nature. Même si je t’ai promis que j’allais être bon avec toi, je ne pouvais pas ne pas te piquer”. ». Morale de l’histoire : « C’est pour ça qu’il faut compartimenter et garder un jardin secret. C’est ce que j’essaye d’expliquer dans ma musique. »

 

© Basile Bertrand

 

Cette histoire, elle la doit à son grand-père, lui aussi très intéressé par la musique : « Papi écoute du Drake, il écoute du rap et regarde Skyrock ! » Comme lui, son entourage familial a fait preuve d’un soutien nécessaire : « Mes parents ont été les premiers à croire en moi, à me donner une guitare et m’entendre chanter. » Mais avant de pouvoir s’affirmer comme chanteuse, Clara Charlotte confie avoir eu des difficultés à trouver une place dans son environnement d’adolescente : « Je n’étais pas la plus jolie fille, pas la plus drôle. Je n’avais pas de petits copains à foison, ni beaucoup de copines. Je faisais juste tout ce que je savais faire. J’étais tellement maladroite que je ne touchais à rien. J’étais juste bonne à être mignonne, à faire des câlins et sourire. C’est cette place que je pensais avoir. Et c’était pas moi. J’étais la “sœur”, “la fille”, “la petite”. Je n’avais jamais l’impression que c’était moi qu’on présentait. J’avais l’impression d’être vide. Mes parents ne pensaient pas ça de moi mais je le sentais comme ça. »

Depuis, la jeune femme a quitté Orléans, sa ville d’origine, pour rejoindre Paris et confirmer sa volonté de vivre de sa passion. Un déménagement qu’elle a jugé vital : « Ça a été très dur venant de province parce que je n’avais pas eu beaucoup de soutien de là d’où je viens. Quand je suis arrivé à Paris, je n’avais aucun contact mais j’ai pu avancer. Orléans s’est réveillé quand ça a commencé à prendre. J’ai quand même beaucoup de reconnaissance pour quelques médias de cette ville qui m’ont soutenue et m’ont propulsée. »

 

© Basile Bertrand

 

Même si elle juge avoir la maturité d’une femme de 35 ans, Clara Charlotte s’autorise aussi à rêver pour ne pas perdre son innocence et garder des objectifs. « Elle rêve de quoi, Clara Charlotte ? », la questionne-t-on. « Du Stade de France minimum ! répond-t-elle du tac au tac. C‘est tellement gros que ça sonne bête mais je suis là pour bosser. Je me donne dix ans pour aller le plus loin possible. Mes parents ont un certain âge, ils ne sont pas éternels et je veux qu’ils voient ça. Il n’y a pas un jour où je ne leur parle pas du Stade de France. Limite, maintenant, c’est eux qui m’en parlent. »

Si elle ne remplit pas encore les grandes salles parisiennes, l’artiste se réjouit de l’un de ses premiers accomplissements qu’elle nous avait fièrement évoqué en arrivant. « Amel Bent », dit-elle presque gênée. « Dès que j’ai eu la certification sur Instagram, c’est la première personne à qui j’ai envoyé un message. Je voulais lui montrer ce qu’elle était pour moi. Chez moi, il y a le ticket de son Olympia de 2006 ! En dix minutes, elle m’avait répondu en me disant qu’elle m’avait écoutée et qu’elle avait kiffé ma musique. Je me suis mise à pleurer, c’était trop beau. »

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