Frapcore : quand le rap fait danser les adeptes de rave

Bien qu’acteur·trice·s de la scène techno hardcore, de nombreux·ses DJ ont grandi avec du rap dans les oreilles. Pour elles et eux, reprendre leurs morceaux préférés est une évidence qui crée un cocktail détonant. Un mélange qui séduit les amateur·trice·s de soirées rave et qui rapproche deux milieux qu’on a toujours voulu opposer. À Pantin, nous avons rejoint, le temps d’une nuit, celles et ceux qui s’écorchent la voix sur du frapcore. Reportage en accès libre et disponible dans le numéro 6 de Mosaïque.

 

À 2 h du matin, les lumières de la salle s’éteignent et plongent le public dans le noir. Avec fracas, la voix de Kaaris résonne dans l’enceinte du Nexus, club rave de Pantin. Les murs vibrent, la foule aussi. Derrière leurs cris, les spectateur·trice·s entendent en exclusivité un remix d’« À La Barrière », issu d’Or Noir Part 2. Ce 19 janvier, environ un millier de personnes ont bravé le froid glacial de l’hiver et les trottoirs verglacés des rues pantinoises pour scander les textes des rappeur·se·s présent·e·s sur les compositions de Von Bikräv

« On est venues spécialement pour lui. » Ce soir, pour fêter le premier anniversaire de son label 20CONTRE1, le compositeur est en terrain conquis. Au programme pour le célébrer : huit heures de set assurées par plusieurs DJ de 23 h à 7 h du matin. Églantine et Jeanne sont des habituées. Elles viennent régulièrement pour danser au rythme de la musique de Von Bikräv. Elles le découvrent en 2020, avec son remix du « Freestyle Chiciiiiiii #6 (Jean-Luc Mélenchon) » du rappeur Fadoo et deviennent fans. Déjà amatrices de rap, elles sont rapidement séduites par la proposition. Von Bikräv excelle dans le frapcore, contraction de « french rap » et « hardcore  ». 

 

© Lia Goarand 

 

Cette rencontre musicale peut surprendre, mais elle était tout à fait logique pour le producteur : « J’étais le DJ du groupe de rap de mon lycée, à l’époque où ils avaient encore besoin de nous », s’amuse-t-il. Quelques dizaines de minutes avant de monter sur scène, assis sur un canapé des loges, il se dit un peu stressé, mais n’en laisse rien paraître. L’artiste sait gérer la pression, membre hyperactif de cette scène depuis quelques années : « Quand à l’époque de la trap, le rap est redevenu une musique de club, j’ai commencé à penser à des remix. Internet a fait sauter plein de barrières, des micro-scènes se sont connectées et les scissions qu’il y avait entre les mondes de l’électro et du hip-hop se sont effacées. Ça, on l’a toujours revendiqué. » 

Il s’attaque alors dans un premier temps à « Down For My N’s » de C-Murder et à « Knuck If You Buck » du Crime Mob. Très vite, son amour du rap français prend le dessus et il publie ses propres versions de titres de Bosh à Biffty en passant par 113 ou Gambi. Le casting est varié, mais Von Bikräv a tout de même ses favoris : « Les rappeurs avec de grosses voix, dans la vibe club, c’est efficace. Des gars comme Niska ou Kaaris, ça marche vraiment bien », précise-t-il. 

 

Von Bikräv et Sidi Sid. © Lia Goarand 

 

Ses deux heures de performance sont ainsi décorées des voix de rappeur·se·s – souvent du 93, département d’origine de Von Bikräv – comme Kalash Criminel et son dernier titre « Une bonne santé et grave des lards ». Si la foule est aussi enthousiaste, c’est parce que le frapcore « permet de chanter, et ça, c’est novateur », explique Quentin, commercial de 27 ans, fidèle des soirées. Si le public peut davantage fatiguer sa voix plutôt que ses jambes, c’est soit parce que les lines samplées et répétées des dizaines de fois restent vite en tête, soit parce qu’il connaît déjà le morceau. Un courageux du premier rang, surélevé, car appuyé sur la barrière, aligne l’entièreté du couplet d’Alkpote, déjà difficile à suivre dans sa version classique, sur le remix de « TOUNSI FREESTYLE PT.3 » en collaboration avec DJ Weedim.  

En parallèle de ses prestations scéniques, le producteur de Seine-Saint-Denis a un objectif clair : « Consolider le mouvement. » Si le frapcore s’est fait une place sur les scènes underground en 2020 et qu’aujourd’hui « les stats continuent de monter sur Instagram », il faut anticiper le futur et ne pas se cantonner à un effet de mode. Von Bikräv construit l’avenir aux côtés du rappeur Sidi Sid (du groupe Butter Bullets), avec qui il prépare un album commun, prévu pour 2024, où il sera derrière chaque instrumental. 

 

© Lia Goarand 

 

Comme un avant-goût du projet, le rappeur rejoint à plusieurs reprises Von Bikräv devant la scène pour interpréter des titres déjà sortis : « Bulles d’air », « Bientôt »… ainsi qu’une exclusivité intitulée sobrement « La merde ». Cheveux blonds décolorés, veste bleue trop large, sa nonchalance détonne avec la frénésie des kicks. Derrière son micro, il est parfois dur d’entendre sa voix tant la musique prend le dessus ; lui-même avoue que « c’était compliqué », mais l’expérience est encourageante si l’on se fie aux réactions. Sidi Sid est « proche de la scène techno hardcore, il en comprend les codes ». La collaboration paraît donc évidente pour Von Bikräv. 

S’il a bien sûr envie de pousser les collaborations avec les rappeur·se·s, il souhaite avant tout « qu’elles soient naturelles » et « ne pas avoir à les convaincre de collaborer ». Une première étape serait « d’officialiser les remix » comme ce fut le cas pour ceux des « Tounsi Freestyle » d’Alkpote et DJ Weedim. Preuve qu’une collaboration officielle favorise la réussite, le deuxième morceau de la série, posté sur la chaîne YouTube de DJ Weedim, reste à ce jour son plus gros succès, avec 7,5 millions de vues sur la plateforme. 

Déjà installé, le mouvement tend à se développer et crée même des attentes. Antoine, professeur de mathématiques de 32 ans, pull 667 sur le dos, faussement gêné d’avoir croisé un élève de son établissement, lance à la fin du show : « La prochaine fois, j’espère qu’il y aura encore plus de rap ! »

 

Retrouve cet article dans le numéro 6 de Mosaïque.

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Critique : TH - « E-TRAP »