Keeqaid : « Je veux que ma musique devienne le commercial »

Enchaînant snippets sur snippets, trends TikTok, premières parties de So la Lune, feats avec La Fève, projet en duo ou en groupe, la voie semble royale pour le jeune prodige de Saint-Denis. Avant-gardiste né, il cultive sa différence dans un seul but : créer le mainstream de demain. Pour sa première interview, rencontre avec un maître tatasseur qui n’a pas fini de vous tatasser.

 

PARTICIPE, ton dernier projet en date, est sorti en juin dernier. Pourquoi ce titre ?

Tout vient d’une phrase extraite de « Français », le premier son que j’ai mis sur ma chaîne : « Anticipe puis participe ». Les gens l’ont beaucoup apprécié, et comme le précédent projet s’appelait ANTICIPE, j’ai eu envie d’appeler la suite PARTICIPE. Dans le premier, tu sens que je me cherche un peu, mais aujourd’hui il faut participer. Je ne m’arrête jamais d’évoluer, je sais que je peux bifurquer encore mais toujours pour devenir meilleur. 

 

En quoi PARTICIPE est-il différent des projets précédents ? 

Il est différent des autres car ça fait longtemps que je n’ai pas sorti autant de son d’un coup. Depuis mon premier long projet Qui est Kee [2022], je ne voulais pas faire de collaboration pour garder mon authenticité et essayer d’atteindre un certain stade de streams et de vues par moi-même. Je ne dis pas que tous les rappeurs doivent penser comme ça, mais personnellement j’avais envie de ça. Aujourd’hui, pouvoir enfin montrer aux gens que je fais des feats, ça me tient à cœur. 

 

On a peu d’infos sur toi, alors on aimerait savoir pourquoi Keeqaid ? 

À la base, ça s’écrivait KY.KED. « KY » pour Kyliann, et « KED » pour le groupe dans lequel j’étais quand j’ai commencé à rapper. Avec le temps, j’ai voulu me détacher de cette écriture. 

 

© AUTOBOY - Mosaïque

 

Il y a un tag qui revient souvent au début de tes sons, avec la voix d’une femme qui dit : « Tu préfères que je t’appelle Kyliann ou Keeqaid ? ». Dans ta bio Instagram, on peut aussi voir ton nom et ton prénom. Pourquoi mettre en avant ton véritable identité ? 

C’était pas fait exprès, mais finalement, ça ne me dérange pas tant que ça. J’ai envie que les gens connaissent aussi Kyliann car il a beaucoup de choses à vous montrer. Keeqaid c’est l’artiste, mais il faut aussi s’habituer à Kyliann Nguessan, comme toutes les personnes qui font de grandes choses. Les gens pourront m’appeler comme ils veulent, mais il faut qu’ils sachent différencier les deux. J’aime beaucoup la mode par exemple. Si un jour je fais des défilés, ou que je lance une marque, je ne voudrais pas qu’on m’appelle Keeqaid dans ce milieu-là. 

 

Tu es passionné de mode ?


Ce que j’adore c’est la production, le rap et la mode. J’ai fait une école de mode pour apprendre à coudre etc, et je n’ai fait que ça pendant trois ans. Après, j’ai vécu un décès, je n’avais plus envie d’aller à l’école. Je me suis dit : « Soit tu arrêtes le rap, soit tu donnes tout pendant un an. » J’ai sorti le projet Qui est Kee en me disant qu’après ça j’allais peut-être arrêter si ça ne donnait rien. Mais Low Wood [son label actuel] m’a contacté. Si je n’avais pas réussi dans la musique, j’aurais continué dans la mode.

 

Tu viens de la Plaine Saint-Denis (93). Tu y vis toujours ? 

Toujours. Je suis à Saint-Denis depuis tout petit. Je suis né à l’hôpital Delafontaine, c’est ma ville.

 

D’où vient ton lien avec la musique ?

Mon père est beatmaker, ingé son et clippeur. Il a bossé avec beaucoup de gens de mon bled, en Côte d'Ivoire, et un peu dans toute l’Afrique. Il avait un home studio à la maison et il faisait tout tout seul. Il recevait des artistes, collaborait avec eux, posait des voix, des ambiances... Il est tellement polyvalent que je ne sais pas comment le définir, même les artistes qui travaillent avec lui l’appellent « le cyborg » ! Petit, j’avais parfois envie de passer derrière le micro. Quand je le voyais faire, ça m’intriguait. C’était attirant. Il n’a jamais été réticent et la première fois que j’ai posé c’était dans mon salon. Ma mère travaillait aussi dans la musique, elle chantait.

 

Que pense ton père de ta musique aujourd’hui ?

Il voit mais il ne dit rien. Il me dit que c’est bien, qu’il faut continuer, et il me partage parfois des conseils, sans me donner plus de détails. On parle rarement de musique finalement, mais il m'a vraiment beaucoup inspiré dans ma manière de chanter.

 

Qu’est-ce qui t’as fait aller vers le rap ?

Mon premier souvenir de rap c’était devant la télé, chez moi, tout petit, quand je rappais des paroles d’un son en anglais. Mon premier texte, c’était en sixième, avec un pote. On rappait sur la prod de « 4G » de Booba. J’écrivais sur mon téléphone et c’était de l’égotrip ! Mais sinon, plus jeune, j’écoutais beaucoup de A$AP Rocky, avant de tomber dans Young Thug, mon rappeur préféré. C’est ma plus grosse inspiration, je crois même que ça s’entend. J’ai trop fait de remix de ses morceaux que je réécrivais en français, où je prenais son flow etc. Au fur et à mesure des années, ma propre sonorité s’est créée, mais la base, c’est ça. 

 

Qu’est-ce qui t’inspire autant chez Young Thug ?


Avant même le rappeur, c’est la personne qu’il est. Il ose, il est en voyou, il porte des robes, il s’en fout. Il est proche de ses fans, il pose sur tout type de prod… Il n’est pas le seul à pouvoir le faire ! Mais la manière dont il le fait, ça me rend vraiment fou. Je suis un grand fan.

 

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Young Thug est souvent cité comme une inspiration dans le rap français, notamment pour son grain de folie. Trouves-tu qu’on manque de ce genre de profil sur la scène française ?

Ça commence à être mieux. Mais beaucoup se brident parce qu’il faut faire des sous. Il n’y a pas de mal à ça.

 

Toi, tu ne penses pas à faire des sous ?

Si, mais certains veulent en faire trop rapidement. Je suis conscient que je n’en ferai peut-être jamais parce qu’on peut ne pas me comprendre, mais je ne suis pas prêt à faire de la musique qui ne me ressemble pas. Quand je fais un son comme « MSJP » qui pourrait être qualifié de plus commercial, de son d’été, la manière dont je kick dessus le rend différent et un peu bizarre. Je vais les éduquer, dans trois ou quatre ans ils comprendront. J’arriverai forcément à un niveau où ma musique sera considérée comme « normale ». Je veux que ce soit ça, le commercial. 

 

C’est ça, être libre artistiquement ?


Quand on me dit que je suis libre, ça me fait bizarre. Je suis juste comme tout le monde devrait être. Je ne sais pas si des artistes se brident vraiment sur leur façon de poser, mais pour moi c’est juste normal. Si à un moment je dois chanter sur une prod, là où personne ne l'aurait fait, alors je le fais. 

 

En tout cas, on a toujours du mal à t’associer à un style. Comment est-ce que tu qualifierais ta musique ?

Si je suis un gamin, je dis que c’est de la tatasse music [rires] ! T’écoutes ça, c’est tatassant. Et comme on est des tatasseurs, ça tatasse. En vrai, c’est un mélange de tout, c’est du hip-hop. Ce qui me fait me sentir différent et me dire qu’on est en train de créer un style de musique, c’est que je ne me bride sur rien. La prod, la manière de poser et les voix que je prends font que c’est de la tatasse music ! 

 

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Ta voix est centrale dans ta musique. D’où te vient cette maîtrise vocale ? 


Petit, j’étais au conservatoire. J’y ai joué beaucoup d’instruments, et j’ai chanté aussi. Je ne me suis pas spécialement posé pour travailler là-dessus, mais ça fait partie de moi. Je sais que lorsqu’on écoute de la musique, beaucoup de gens ne vont même pas la chanter, moi je la crie ! 

 

Tu es crédité sur certaines de tes prods, à quel point tu t’investis dans la composition de tes morceaux ?

La première fois que je m’y suis vraiment intéressé, ça devait être en 2020 ou 2021. Mon beatmaker Juan m’a ensuite beaucoup inspiré, c’est le meilleur en France et je n’ai pas peur de le dire. En 2024, j’ai commencé à faire les prods moi-même, avec son aide. Mon but, c’est de pousser ça. Je suis prêt à être un beatmaker à part entière. 

 

Juan prend beaucoup de place dans ta musique. Il clippe, il fait les prods, il manage… Parle-nous de lui.

Juan, c’est moi. Keeqaid, c’est Juan et Kyliann. C’était mon clippeur à la base, je l’avais contacté parce que j’aimais bien ce qu’il faisait. Au moment où je me suis séparé de mon ancien manager, Juan m’a proposé de me faire des clips gratuits qu’il mettrait sur sa chaîne, et ça m’arrangeait grave ! 

[Juan débarque dans la conversation]

La mentalité c’est : tout ce que tu peux faire, fais-le. C’est tout con, mais on est jamais mieux servi que par soi-même. Je ne devais même pas être clippeur à la base, moi je fais de la musique depuis tout petit. J’avais fait une prod pour un poto, y avait personne pour le clipper, donc j’ai fait le clip. Pour parler simple, ce que j’ai kiffé chez Keeqaid, c’est qu’il est trop fort. Il a tout ce qu’il me manque. Il est très spontané, il a bon goût naturellement, il n’a pas besoin de trop réfléchir et il est lui-même. Moi c’est le contraire, je réfléchis trop. 

[Keeqaid reprend la parole]

À force de faire, la relation s’est tissée. Je n’avais plus de manager, donc il l’est devenu naturellement. C’est mon ami, mon manager et mon producteur.

 

Sur PARTICIPE, tu feat deux fois avec La Fève. Pourquoi deux morceaux ?

Deux morceaux parce que les grands n’arrivent pas à choisir [rires] ! On a fait beaucoup de sons, il a fallu trier, et il y en a d’autres qui vont arriver.

 

Comment s’est faite votre rencontre ?

Assez naturellement. On s’est follow sur Instagram et je lui ai proposé qu’on s’attrape au studio. Le feeling est passé direct et musicalement on s’est compris très rapidement. La fluidité du truc m’a choqué, ça n’arrive pas si souvent. C’est un mec qui écoute beaucoup de rap, et lui comme moi, on a pour but de changer les mentalités de ce rap game. On a la même vision, on fait des sons game changer et c’est ça qui fait que quand on fait de la musique ensemble, c’est très direct. 

 

Dans le projet, tu collabores aussi avec Sherifflazone, comment s’est faite la connexion ?


Son manager m’avait contacté pour faire un feat mais je voulais prendre plus de temps pour mieux comprendre qui était Sherifflazone. Ensuite, il a sorti « White » et je me suis dit que ça ne servait à rien de penser comme ça et qu’il fallait juste faire du son. J’ai regretté carrément ! Quand on s’est vu au studio, il y a eu une vraie connexion, humaine comme musicale. Après ça, je suis revenu vers eux en leur disant que c’était le moment qu’on sorte le morceau. 

 

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Sherifflazone est un bel exemple, comme toi, du bon goût que peut avoir TikTok. Ton morceau « OH NO » a été repris plus de 5 000 fois sur la plateforme. Aujourd’hui, c’est ton morceau le plus streamé. Comment tu as vécu ce buzz TikTok ?

Au début je l’ai bien vécu, et après le son a commencé à me soûler. Je ne vais pas cracher sur ce buzz. Les gens ont essayé de me catégoriser « rappeur TikTok », mais j’ai vite réussi à leur faire comprendre que ça n’était pas le cas. Je me suis même un peu écarté de l’application, pour mieux revenir. Quand j’ai commencé sur les réseaux, c’était Instagram et Facebook qui tatassait. Au début, j’avais du mal. TikTok, c’est d’autres formats et une manière différente de consommer les réseaux sociaux. Mais aujourd’hui, c’est une appli comme les autres qui aide ! 

 

Ta bonne humeur communicative marche bien sur les réseaux, et elle se retrouve aussi dans tes morceaux. Keeqaid, c’est de la musique joyeuse ?

Qui est Kee est sorti en 2021 après une période difficile, et en l’écoutant, je trouvais que c’était un peu trop sombre. Même sur ANTICIPE, ça l’était encore trop. Alors, je me suis forcé à être énervé de la même manière, mais sur d’autres prods et en changeant ma façon de poser. D’un mois à l’autre, je peux vraiment tout changer dans ma musique. Tu ressentiras toujours que c’est Keeqaid, mais c’est une autre manière de bosser. Je l’ai fait volontairement parce que je ressentais que ça pouvait devenir un peu trop triste, alors que j’avais juste envie de m’amuser, d’être joyeux. Moi, c’est la musique qui me remonte le moral. Le studio, le micro et la musique en général, c’est ce qui fait que je ne craque pas sur plein de choses. 

 

Quel est ton rêve de rappeur ?

Remplir le Stade de France trois fois d'affilée. C’est le stade de chez moi, ça serait dingue. 

 

Un mot de la fin ?

Faites attention à vous, protégez-vous, écoutez de la bonne musique et tatassez dans vos vies.

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