Jeune Lion : « Je fais du rap spirituel »

Après avoir débarqué de nul part sur les plateformes de streaming en 2022, Jeune Lion a su faire son trou dans le rap francophone en seulement quelques sorties. Phénomène transcontinental, l’enfant d’Abidjan à la crinière locksée s’exprime pour la première fois auprès de Mosaïque. Pour son projet RULE MI HEART, rencontre avec un rappeur instinctif en quête de liberté.

 

Tu es franco-ivoirien mais j’ai entendu dire que tu avais aussi des origines allemandes ? 


C’est vrai. Mon grand-père paternel était allemand, d’où mon vrai prénom. Je m’appelle Hans-Jürgen. Si je dépose mon CV sans photo, on peut penser que je suis un Allemand.

 

Tu partages ton temps entre la France et la Côte d'Ivoire. Qu’est-ce qui te plaît à Abidjan où tu vis ? 

Je suis avec ma famille dont je me sens très proche. Quand je sors, je vais à l'épicerie et tout le monde me tape la discute. Je connais les policiers ici aussi. En gros, je suis chez moi ! Les gens sont plus accueillants, chill. Les rapports sont plus simples.

 

Tu viens du quartier de Marcory. Quelle est l’ambiance ? 

C'est une zone résidentielle. Il y a beaucoup de maisons, de commerces et d'étrangers : des Libanais, des Français… C'est une zone très sécurisée. Tu peux te promener la nuit comme la journée sans soucis.

 

© Hugo Morin

 

La musique, c’est assez récent pour toi. Plus jeune, tu te destinais à quoi ? 

Au foot. Quand j'ai eu mon bac à 18 ans, j’ai voyagé en France pour mes études. J'ai fait une école de commerce à Lille mais j’ai arrêté pour suivre une formation en agronomie à Bordeaux. Mon père a une ferme, des terrains, des plantations en Côte d’Ivoire. Je voulais avoir mon diplôme et travailler là-bas.

 

Comment as-tu commencé le rap ? 

J'étais à Bordeaux et j’ai une connaissance qui faisait des prods. Je le poussais à continuer et un jour il m’en a transmis une qui était énervée. J'ai écrit un texte, c'était mon tout premier. Je l’ai appelé au téléphone pour lui rapper et il n’en revenait pas. Il était choqué que ce soit mon premier. J’ai fini par publier « LARA ANTHEM » sur Soundcloud. C'était un test pour voir comment je me sentais devant le micro, qu’est-ce qui en ressort, comment les gens se le prenaient aussi…

 

Quelle a été ta réaction après les premiers retours ? 

Comme les gens ont kiffé sur Soundcloud, j’ai voulu passer au niveau supérieur en publiant sur les plateformes. J’ai sorti mon premier single « J U D A » et j’étais surpris car ça commençait à bien marcher. Je n’avais pas de studio ni l’envie de dépenser à chaque fois 60 balles et puis, on peut bloquer mes voix, me retarder, voler mes sons… J’ai utilisé toutes mes thunes pour payer mon matériel : carte son, micro et casque. Je savais déjà m'enregistrer parce que j'étais tout le temps avec BRTZL, mon ingé son. Pour la petite anecdote, « QABBALA » est le premier son que j'ai enregistré quand j’ai eu mon matériel. Aujourd’hui encore, je m’enregistre dans ma chambre, mon ingé mixe, mastérise et me le renvoie.

 

Tu te sens mieux chez toi ? 

Je suis dans mon élément. Je fais ce que je veux, sans pression de temps. Il n'y a pas de gêne. Souvent, tu peux penser à faire des bails et les mecs dans le studio vont rire, même si ce n’est pas méchant. J’aime être à l’aise. Si la prod me parle, je peux écrire directement. Après, c’est en fonction de l’inspiration. Parfois, tu te poses et tu n’as rien à dire.

 

© Hugo Morin

 

Avec quel rap as-tu grandi ? 

J'écoutais beaucoup Guizmo, Nekfeu, 1.9.9.5, donc le rap plutôt parisien de cette époque. Despo aussi. Il était très engagé et avait une manière bien précise de rapper, pas comme les autres. J'aimais bien son style, sa manière à lui.

 

Y a-t-il des rappeurs en Côte d'Ivoire qui t’ont inspiré ? 

Il y a Widgunz qui vient d’Atlanta et qui est venu ensuite en Côte d’Ivoire mais aussi elyslime!, un pote à moi, un peu underground. Celui qui est en vogue en ce moment, c’est Himra qui fait plus de la drill.

 

Tu côtoies les industries de deux pays différents. Tu aimerais développer le public de quel côté ? 


Peu importe la nationalité de mon public, je veux juste que ce soient des gens qui se reconnaissent, comprennent et ressentent mon message. Il faut qu’il capte la qualité. Même s’ils sont en Yougoslavie, j’irai les voir [rires]. À l’heure actuelle, il y a beaucoup d’Ivoiriens, de Français et de Belges dans mes auditeurs.

 

Le reggae est une musique importante à Abidjan. Cette culture t’a-t-elle bercé ? 

Au lycée, j’ai eu une époque où je n’écoutais que du reggae. Avec mes potes, je fréquentais souvent le Parker Place, une boîte reggae connue en Côte d’Ivoire. C’est une musique vivante. Peu importe l'âge, la personne… les enfants écoutent du reggae facilement par exemple. Elle est très inspirante et il y a beaucoup de messages divins, des références bibliques. Le reggae dégage une bonne énergie et une bonne morale. Je me reconnais aussi dans l’aspect nature et guerrier de cette musique.

 

Est-ce que tu en tires des influences dans ta musique aujourd'hui ? 

Le reggae me sert d'inspiration et j’y puise des références aussi. Pour parler de Dieu, souvent, je vais utiliser « Jah ». En Jamaïque, c’est comme ça que les rastas le nomment. Sur scène, avant de faire « SOUL », j’ai une petite intro avec un speech de Bob Marley. Il m’a beaucoup marqué. Il symbolise la culture de la liberté, d'être en paix. On lui a demandé ce qu’était la richesse pour lui et il a répondu : « la vie éternelle ». Il est très inspirant.

 

© Hugo Morin

 

L’un des thèmes récurrents dans ta musique, c'est la foi. Tu es très spirituel. Quelle place cela prend dans ta vie ? 

La spiritualité, c'est la base. Il y a un autre monde et des choses qu’on ne voit pas qui sont plus importantes que ce qu’on a sous les yeux. Dans cet univers invisible, il y a un Dieu qui nous a créés. Tous les matins, tu te réveilles mais est-ce que tu sais pourquoi ? Il faut rappeler aux gens qu’il faut se reconnecter à la foi. Notre génération est trop dans l’amusement, les vices. Moi, ça m’aide à mener la vie la plus sage possible, sans faire du mal aux autres.

 

Plusieurs fois, tu évoques Babylone dans tes morceaux. Dans la culture reggae, cette ville représente un système oppressif. Pour toi aussi ?

Babylone, c’est la représentation de tout ce qui est mauvais, mal. On essaie de réduire la balance du mal pour faire plus de bien.

 

Te sens-tu concerné par les questions sociales et politiques ?

Je ne vais pas en parler directement comme c’est assez sensible, mais je vais faire des clins d’œil à ces questions dans mes textes. En 2004, il y a eu des affrontements entre les soldats français et ivoiriens. Beaucoup ne le savent pas. Grâce à ma double culture, je peux plus facilement m’adresser aux auditeurs et en parler. Si tu regardes la cover de mon single « 43e BIMA » sur Youtube, tu verras que c’est une image de cet événement. Ce sont les hélicoptères des Français, sur un pont, qui rafalent les Ivoiriens.

 

On ressent beaucoup d'espoir dans ta musique. C’est ce que tu as envie de transmettre ? 

J’aimerais surtout transmettre un sentiment de paix. On n’est pas au courant des problèmes de chacun. En écoutant ma musique, je me dis qu’il faut que ça sonne positif, que ça remonte le moral. Personne ne parle de ce dont je parle. Je fais du rap spirituel.

 

© Hugo Morin

 

« SOUL » et son buzz sur TikTok a joué un rôle important dans ta carrière. Comment as-tu vécu son explosion ?  

Chaque jour, il y avait 10 000 vues. Je ne sais pas de quoi ça part. Peut-être de l’originalité, du naturel et de la simplicité. On a tourné le clip devant chez moi avec la voiture de mon pote. J’avais fait appel à un petit de mon quartier. Tout a commencé à augmenter : mon nombre d’auditeurs, les messages, les mails, les appels. Je me suis dit que c’était le moment d’être sage, sinon je peux vite m’embraser.

 

Sur RULE MI HEART,  à part « HOUDINI » avec SamRecks, il n’y a aucun feat. Pourquoi ?

J’aime bien apprendre à connaître la personne, la capter. Après, on peut faire du son ensemble et bosser. C’est plus naturel et plus simple. Ormaz, Osirus Jack… ce sont des gars que je connaissais depuis un moment. Pour SamRecks, il voulait faire un feat avec un francophone. Il est d’origine nigériane donc on s’est bien entendu de ce côté-là. Et puis, j’ai kiffé Londres, c’est une autre vibe.

 

Ce qui interpelle sur ce nouveau projet, c’est ta voix. Sur tes premiers sons, tu n’avais pas la même. Comment tu l’as faite évoluer ? 


Au début, je ne me sentais pas à l'aise avec le micro. Au fur et à mesure, en achetant mon matos, j'ai découvert que je pouvais utiliser ma voix de différentes manières. Je ne voulais pas que mon son ressemble à celui de quelqu’un d’autre. Avec mon nouveau projet RULE MI HEART, je voulais une voix grave, bien crispy.

 

Pourquoi tiens-tu à te démarquer ? 

C’est ce qui fait la différence, sinon ça devient de la musique commerciale. Je veux un truc bien précis, que ce soit mon identité. Comme quand tu écoutes Bob Marley, tu sais que c’est lui.

 

Il y a des sonorités avec lesquelles tu as envie de surprendre à l'avenir ? 


Ah, tout est secret [rires] ! Déjà, un son comme « GINGER JUICE », avec une sonorité afro, a surpris. Personne ne s’attendait à ça.

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