Occupation de la Gaîté Lyrique : « On ne va pas remettre 250 jeunes à la rue »

Du côté des autorités publiques, c’est l’impasse. Depuis mardi 10 décembre, 250 jeunes en situation irrégulière occupent la Gaîté Lyrique et revendiquent leur droit au logement. Face à l’urgence, le lieu ouvert parisien a cessé toutes ses activités culturelles, dont ses concerts, mardi 17 décembre. Et Mosaïque l’a constaté sur place : la tension et la fatigue ont remplacé la fièvre musicale qui rythme habituellement l’endroit.

 

Comme tous les jours, la Gaîté Lyrique, lieu ouvert qui programme régulièrement des concerts de rap, accueille des personnes à la rue. Venues se reposer dans un espace sûr et chauffé, elles se mêlent aux étudiants, profitent des petits-déjeuners solidaires et rechargent leur téléphone. Seulement, voilà. Le mardi 10 décembre, après une journée ordinaire où les personnes sans solution de logement entrent librement, près de 250 jeunes refusent de quitter le centre culturel lors de la fermeture.

Pour David Robert, porte-parole de la Gaîté Lyrique, c’est l’impasse. « Étant donné qu’on est à Paris et que c’est l’hiver, notre conception de la citoyenneté, de la dignité et de l’humanité fait que l’on ne va pas remettre dehors 250 jeunes. Donc on subit mais on comprend. »

 

Dimanche 15 décembre, des manifestant⸱e⸱s ont occupé le bâtiment. © La Gaîté Lyrique

 

« Ce n’est pas du tout plaisant de vivre ça »

 

À l’aube du 10e jour d’occupation lorsque nous arrivons sur place, l’accès est strictement refusé au public. Depuis le mardi 17 décembre, la Gaîté Lyrique a fermé ses portes. Après un contrôle de sécurité, Mosaïque rencontre Amadou, près du bar de la salle. Désigné comme l’un des délégués des jeunes réfugiés à la Gaîté Lyrique, il nous explique l’origine de ce mouvement : « J’étais à Pont Marie [pont parisien reliant l’île Saint-Louis au quai de l’Hôtel-de-Ville, NDLR] et on dormait à la rue, sous les ponts. Le collectif de Belleville est venu nous donner du courage et du soutien. Ils nous ont motivés pour occuper la Gaîté Lyrique, un lieu qui appartient à la mairie, pour réclamer nos droits sans violence et avoir un logement. » Le jeune homme dit se sentir « rassuré d’être ici » mais il ne l’envisage que « comme une étape pour chercher un logement et le droit à l’école comme les autres ». « Si j’en trouve un aujourd’hui, je pars. On est des humains quand même », ajoute-t-il fermement.

 

À l’étage, les tables ont été arrangées pour créer des groupes d’écriture, en attendant l’Assemblée générale du jour. D’autres tentent de se reposer dont un jeune, allongé par terre dans un sac de couchage, adossé à un pilier pour éviter qu’on le piétine. Dans ce brouhaha incessant, Abdoulrahmane, surmonte sa timidité mais son malaise reste palpable : « Ce n’est pas du tout plaisant de vivre tout ça. La Gaîté Lyrique n’est pas un lieu fait pour dormir. On essaye de prendre soin du bâtiment parce que nous ne sommes pas ici pour détruire. Ce lieu a toujours été amical envers nous depuis bien avant l’occupation. On passait la nuit dehors et quand le jour se levait, on venait ici pour se mettre au chaud, lire des livres… »

 

Lui aussi, c’est le Collectif des jeunes du Parc de Belleville qui l’a encouragé à occuper le lieu ouvert. Depuis septembre 2023, le groupe militant est à l’initiative de plusieurs actions similaires. Pour Jane, adhérente depuis un an, c’est un moyen extrême mais efficace : « C’est très difficile de se faire entendre dans ce pays. On sait ce qu’ont donné les manifestations pendant le mouvement des retraites. Les jeunes ont donc constaté que les occupations étaient les seules actions qui fonctionnaient. » Elle précise : « On n’est pas des intermédiaires entre les jeunes et le personnel. On est là pour militer avec eux, défendre nos convictions politiques et faciliter les liens avec le syndicat, les associations, la cagnotte… »

 

Les jeunes forment une barrière devant la porte d’entrée. Tous réclament le droit au logement. © La Gaîté Lyrique

 

Les autorités se renvoient la balle

 

La cohabitation se poursuit mais la Gaîté Lyrique a stoppé toutes ses activités culturelles. David Robert estime qu’il s’agit d’un gouffre financier de plusieurs dizaines de milliers d’euros chaque jour, depuis le début de l’occupation. Et le risque du dépôt de bilan et du chômage pour les 60 employés pointe le bout de son nez puisque les autorités ne cessent de se renvoyer la balle : « Il y a trois acteurs principaux : la préfecture de région, la préfecture de police de la Ville et la mairie de Paris. Notre espoir, c’est la mairie. Elle peut répondre à l’inaction de l’État par un peu plus d’intelligence et d’humanité. » Le porte-parole fait part d’un échange constant avec ces administrations et implore en priorité une aide d’urgence pour déplacer les jeunes dans un abri adapté.

 

Selon Le Parisien, le premier adjoint (PS) à la maire de Paris, sollicité par l’AFP, soutient qu’il « ne dispose pas de locaux vides » utilisables « du jour au lendemain ». Un hébergement dans le lycée professionnel Brassaï fermé pour travaux, a été suggéré. Mais le maire (LR) du XVe, Philippe Goujon s’y est opposé. De son côté, la préfecture de la région d’Île-de-France estime qu’il s’agit d’une « occupation illicite d’un bâtiment par des migrants reconnus majeurs par les services sociaux de la Ville de Paris ». Une affirmation démentie par plusieurs jeunes sur place qui assurent être mineurs.

 

Depuis mardi 17 décembre, l’accès à la salle est interdit au public. © La Gaîté Lyrique

 

Depuis, la situation stagne et surprend également le collectif. Tout comme le personnel, les militants interpellent la mairie : « On lui demande de se tenir à nos côtés politiquement et qu’elle alarme l’État. Là, elle se défausse en disant que ce n’est pas sa responsabilité. Puis, finalement, elle propose d’héberger temporairement dans des gymnases. Et la situation s’enlise à nouveau car des jeunes se font mettre dehors après leur première évaluation de minorité. C’est un cycle éternel. »

 

Les regards sont inquiets et la fatigue tire les traits de chacun. Mais jeunes, membres du personnel et militants se positionnent tous face à un dénominateur commun : l’attente d’une mise à l’abri d’urgence dans un lieu d’hébergement avec un minimum de confort vital et de dignité humaine.

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