Beton.Hofi : « En Hongrie, j’ai été censuré par les chaînes de télévision nationales »

En Hongrie, la jeunesse se mobilise en musique contre un tournant conservateur et populiste instauré par le Premier ministre, Viktor Orbán, en poste depuis 2010. En première ligne, les rappeuses et rappeurs font entendre leur voix. Aussi connu dans son pays que Laylow ou Josman en France, Beton.Hofi est l’une des stars du rap hongrois. Nous l’avons rencontré par hasard, dans les rues de Budapest, lors d’un match de foot organisé entre les différents collectifs de rap de la ville. 

 

Peux-tu te présenter ? 

Je suis Adam, un artiste de rap, originaire de Budapest en Hongrie. Je suis principalement basé à Józsefváros, le 8e arrondissement de la capitale. Je suis probablement l’une des plus grosses têtes d’affiche de la saison des festivals cette année et de la nouvelle génération de rap hongrois. 

 

Comment décrirais-tu ta musique ? 

Ma musique s’inscrit dans une nouvelle vague du hip-hop, parce que j’essaie de jouer avec les limites pour montrer comment le capitalisme s’est imposé dans les pays socialistes comme le nôtre. Mes textes portent également sur la façon dont les Hongrois ressentent le fait d’avoir été trahis par l’Histoire [Alliée de l’Allemagne lors de la Seconde Guerre mondiale, la Hongrie a coopéré avec les nazis dans la déportation des Juif·ve·s hongrois·e·s], mais aussi trahis par la direction que nous prenons [Viktor Orbán, Premier ministre depuis 2010, est un conservateur, figure du populisme européen, revendiquant sa proximité avec l’extrême droite]. Les choses qu’on ne peut pas dire, même face à ses amis, je tente de les formuler dans mes sons comme si je le disais devant tout un pays. 

 

Dans un morceau, tu fais référence au scandale d’espionnage du gouvernement d’Orbán en 2021. Quelles en ont été les conséquences pour toi ?

Dans ma chanson « BAGIRA », je dis : « Je meurs, quel pays libre c’est, j’envoie des textos à ma mère et Orbán m’attend. » Après ça, j’ai été mêlé à des débats politiques, mais je n’ai pas réagi. Ce titre a été la troisième musique hongroise la plus écoutée de tous les temps sur Spotify et j’ai fini par être censuré par les principales chaînes de télévision nationales en Hongrie.

 

© Victor de Rap d'Ailleurs

 

Pourquoi as-tu refusé de t’exprimer ? 

Tout le monde voulait me faire adhérer à un parti politique et me faire dire n’importe quoi à ce sujet. Mais nous avons assez de difficultés comme ça au quotidien. Et puis la politique est un terrain sur lequel on ne pourra jamais gagner. Je ne veux pas entrer dans ces débats, ça m’éloignerait de mon art.

 

Que penses-tu de la scène rap underground hongroise ?

Elle est très fructueuse ! Quelque chose est en train de se passer. La Hongrie ne suit pas les tendances mondiales, et dans ce domaine, on a créé, avec notre langue, quelque chose de très intéressant. Déjà parce que notre vocabulaire est très détaillé. Et puis la jeune génération se construit dans la période post-moderne, post-soviétique. On est considéré comme l’un des peuples les plus déprimés de la planète. Malgré tout, on crée de grandes choses. Là où il y a une grande obscurité, il doit y avoir une sorte de lumière. 

 

À part toi, quel·le·s sont les rappeuses ou rappeurs les plus célèbres du pays ? 


Je suis le seul artiste mainstream à être issu de l’underground. Autrement, Azahriah est le plus grand nom actuellement, il a environ 600 000 auditeurs par mois sur Spotify. Il fait de la musique de plus en plus populaire qu’il mêle à des sonorités folkloriques. Il utilise aussi beaucoup l’anglais dans ses textes. Je pense également à Pogány Induló, le rappeur old school le plus connu chez nous. Il a 18 ans, il a percé en un an ! Il y a aussi Krúbi, très populaire et très politique. Il mélange son rap à de la parodie. Ses concerts sont toujours de grandes performances. Et puis tu as le collectif OTL (On the Low) avec notamment Ekhoe, gyuris et Grasa. C’est eux, la trap hongroise ! 

 

Quelle résonance la scène rap a-t-elle en Hongrie ? 

En ce moment, avec toute la communauté de rap underground, on performe sur les plus grandes scènes de Hongrie. On peut sold out un stade de 20 000 personnes en quelques jours. Moi, j’ai deux albums avec environ 80 millions d’écoutes sur Spotify. En tout, je suis à peu près à 100 millions de streams. 

 

C’est beaucoup pour un pays de 10 millions d’habitants ! 

Plutôt, oui. Si je regarde mes statistiques, parmi les 300 000 auditeurs mensuels que j’ai, 250 000 viennent de Budapest. Donc 80 % des personnes qui m’écoutent sont originaires de la capitale hongroise. On nous écoute aussi beaucoup en Roumanie, là où il y a une minorité hongroise très importante, et en Slovaquie. La plupart des pays qui faisaient historiquement partie de la monarchie sont des endroits dans lesquels je peux faire de grosses scènes. 

 

Découvre le documentaire complet sur le rap en Hongrie sur la chaîne YouTube Rap d’Ailleurs.

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