Les comptes « actus », l’admiration comme levier de promotion

En parcourant les réseaux sociaux, vous avez sûrement remarqué que X (ex-Twitter) fourmillait de comptes « actus » de rappeuses et rappeurs. Si pendant un temps les fan-clubs étaient réservés aux têtes d’affiche, il est désormais possible de rejoindre des communautés attachées à des artistes émergent·e·s. Une tendance en plein essor, qui n’a pas échappé aux actrices et acteurs de l’industrie.

 

« Ça m’a permis de comprendre que, dans la vie, tout était possible. » Xavier, chirurgien-dentiste de 25 ans, ne s’est jamais habitué à recevoir des messages privés de son idole. En 2019, il crée une page fan de Damso sur Instagram (@damso_opg_mevtr), car insatisfait des contenus de celles qui existaient déjà, qui compte aujourd’hui 115 000 followers. L’année suivante, il échange pour la première fois avec le rappeur belge. « Je ne dirais pas qu’on s’est liés d’amitié tout de suite, mais on avait des conversations fluides, parfois quotidiennes, sur la musique et sur la vie de tous les jours. » Encore étudiant à l’époque, il est surpris que l’auteur d’Ipséité se souvienne de ses dates d’examen et lui envoie des messages de soutien le jour J. De quoi arriver devant sa copie avec une dose de motivation supplémentaire.

 

En 2021, il est même invité par l’équipe du rappeur avec deux autres comptes fans à assister à un concert de Damso au festival « Fire is Gold » d’Anvers et à passer « une petite heure avec lui en loge ». Depuis, Xavier a revu à plusieurs reprises l’artiste sur les routes du Qalf Infinity Tour. Des avantages dont cet internaute n’est pas le seul à bénéficier. Ewan, étudiant en classe préparatoire de 20 ans, qui tenait « Waly Actu » – et également « Waly Désactu », se parodiant lui-même – consacré à Prince Waly, raconte : « Je suis invité à tous les concerts, ils me mettent du merch de côté, ils m’envoient des vinyles et me donnent de petites exclusivités… » 

 
 

D’autres sont parvenu·e·s à faire de leur compte un véritable outil de promotion pour les artistes, à l’image de Félix, alias @bbjacquesactu. Ses pages cumulent un peu moins de 9 000 abonné·e·s sur X et plus de 4 200 sur Instagram. Il se rappelle : « J’ai créé le compte en janvier 2022. À ce moment-là, ça faisait deux semaines que j’écoutais La nuit sera calme  en boucle. Je pensais sincèrement que B.B. Jacques était le meilleur rappeur de France, alors qu’il n’était qu’à 10 000 ou 15 000 auditeurs mensuels sur Spotify. »

 

Âgé de 17 ans à l’époque, il se lance dans la propagande de son rappeur préféré sur les réseaux sociaux. Il est rapidement partagé entre le sentiment que B.B. Jacques mérite davantage d’exposition et la crainte de faire comme ses confrères : « Relayer les infos et reposter des vieux sons, tout ça sans valeur ajoutée et sans identité, alors que c’est essentiel sur un réseau de proximité comme Twitter ! » 

 
 

Pour marquer sa différence, il se fait une promesse : « Si B.B. Jacques sort une musique de merde, je dirai que c’est de la merde. Je ne vais pas me travestir. Je pense même que c’est positif, si l’on trouve un juste milieu. » Une ligne de conduite que semble s’être également donnée le propriétaire du compte @AteyabaVibes qui n’hésite pas à critiquer, parfois de manière virulente, le rappeur.

 

Après la réception du merchandising de La vie en Violet , il écrivait par exemple : « Tout est de basse qualité, impression pas droite, poils de chat dans ma commande […]. La casquette [est] horrible [et] le tee-shirt pareil. » En plus de cette liberté de ton, Félix décide, de son côté, de mettre son prénom en avant sur les réseaux sociaux et de partager d’autres coups de cœur musicaux.

 

Attirer l’attention de l’industrie

Rapidement, il tape dans l’œil de l’équipe de l’artiste. Vincent Le Nen, 30 ans, business manager de B.B. Jacques, s’amuse de le voir à l’œuvre à ses débuts : « B.B. Jacques n’était pas sur Twitter et c’est un réseau qu’on comptait exploiter. C’était très pratique de constater que son nom tournait déjà sur la plateforme. » Fort de l’impulsivité liée à son jeune âge, Félix n’a aucun mal à aller vers les équipes, en les mentionnant ou par messages privés.

 

Au départ, ils le testent : « On lui donnait des informations parfois vraies, parfois fausses, pour voir ce qu’il en faisait. C’était aussi une manière de voir s’il les faisait fuiter. Ce n’est jamais arrivé, je crois. » Puis, le jeune homme est intégré à la stratégie de communication de l’artiste. Vincent se rappelle avoir dit à B.B. Jacques : « Tu te rends compte que ce petit, son but, c’est de se demander comment faire en sorte que de plus en plus de gens écoutent ta musique. Si ce n’est pas le profil parfait en promo marketing, je ne sais pas ce que c’est. »

 

Cet investissement à toute épreuve de la part d’anonymes, Léo Thomelet en a également fait l’expérience. Lorsqu’il travaillait avec le rappeur Leo SVR [Saint-Vincent-de-Reins, lieu où il a grandi, NDLR], il constate le redoublement de créativité du compte Twitter FC LeoSVR pour promouvoir la sortie du projet Manita : « Le mec du compte a fait un parallèle stylé en écrivant que Leo avait 11 fois plus d’auditeurs que le nombre d’habitants de son village d’origine. » L’idée est originale et plaît à Léo qui explique à Mosaïque : « J’ai trouvé ça trop smart et trop cool, je n’y aurais pas pensé. On a mis toute notre force là-dessus. » 

 
« Je pense que c’est l’un des plus grands moments de ma vie »
— Félix (@bbjacquesactu) pour Mosaïque
 

En plus d’une implication dans les stratégies promotionnelles des artistes, ces aventures ont créé chez certain·e·s des souvenirs mémorables. Félix se rappelle : « Au concert à La Cigale, je voyais tous mes potes autour de moi, et B.B. Jacques qui me parlait depuis la scène, c’était incroyable. » Une autre fois, lors d’un concert à l’EMB Sannois, l’ancien candidat de Nouvelle école lui promet une grosse surprise et le fait monter sur scène aux côtés de Mehdi Maïzi. « Je pense que c’est l’un des plus grands moments de ma vie », avoue-t-il. 


La relation avec le rappeur de Courbevoie est telle que c’est même @bbjacquesactu qui, le 1er décembre 2022, annonce la tracklist de NEW BLUES, OLD WINE en exclusivité sur X, une quinzaine de minutes avant que l’artiste le fasse sur ses propres réseaux. 

 
 

Si Félix songe désormais à arrêter, son investissement personnel a été récompensé par les équipes de l’artiste. Vincent lui a permis d’accéder à un stage dans l’industrie musicale, pour qu’il mette autant d’énergie sur de nouveaux projets. Et peut-être pour partager tout autre chose avec ses fidèles followers, comme le lui a suggéré B.B. Jacques en personne : « Actuellement, c’est @bbjacquesactu, mais demain, tu peux en faire ce que tu veux, même un compte sur l’agriculture si tu en as envie ! »

 

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